Arnaud.A Arnaud.A

Retour sur l’enchère TOKI de Phillips Hong Kong

Le 22 Novembre s’est tenue à Hong Kong une enchère qui fera date dans l’histoire de l’horlogerie japonaise. La fameuse maison d’enchères Phillips a organisé une de ces ventes dont elle a le secret, mais sur un thème encore jamais vu: le Japon.
Je vous invite donc à revenir sur certaines des montres présentées et à discuter des résultats de cette vente exceptionnelle.

Note: sauf mention contraire, toutes les photos sont celles issues du site Phillips.com et sont la propriété de Phillips HK


Le 22 Novembre s’est tenue à Hong Kong une enchère qui fera date dans l’histoire de l’horlogerie japonaise. La fameuse maison d’enchères Phillips a organisé une de ces ventes dont elle a le secret, mais sur un thème encore jamais vu: le Japon.

Calligraphie réalisée en direct par l’artiste Mamimozi sur une toile de 2m10×2m10 et vendue 17000€

Le nom TOKI vient du kanji 刻 dont une des significations est “le temps”. Ce caractère signifie également “graver” et vous allez voir que les deux sens sont liés: sur les horloges japonaises (les fameuses wadokei), les jours sont divisés en 12 périodes de jour et 12 périodes de nuit, chacune étant représentée par un signe du zodiaque chinois. La durée de ces périodes n’était pas fixe, mais changeait en fonction des saisons, on parle alors d’heure temporaire. Sur les wadokei, on retrouvait donc pour chacune de ces heures temporaires une petite plaque gravée du signe du zodiaque correspondant. Autrement dit, chaque gravure représentait une heure. Et comme vous l’avez deviné, ces heures temporaires étaient appelées TOKI en japonais. Vous comprenez donc maintenant pourquoi le même kanji peut être utilisé pour parler de gravure ou de temps !

Mais revenons à cette enchère sur le thème du Japon.

L’enchère s’articule donc autour du thème du Japon avec globalement quatre types de montres proposées:

  • les montres venant de collectionneurs japonais

  • les montres faites pour le marché japonais

  • les montres de marques japonaises établies

  • les montres d’horlogers indépendants japonais


Je ne m’étendrai pas sur les deux premières catégories, mais je vous invite à aller voir la page dédiée à l’enchère sur le site de Phillips pour vous faire une idée. De la simple Rolex Explorer à la Vianney Halter en passant par de la Patek “Kimono” en émail cloisonné, de la De Béthune ou des montres de poche exceptionnelles, la sélection de montres présentées ne laisse planer aucun doute sur l’excellence et le niveau des collectionneurs japonais !

Connaissant assez mal ces montres et leur marché, je préfère laisser ceux qui savent en parler. Mais il me semble intéressant de s’attarder plus en détail sur les deux autres catégories. Je vous propose donc de regarder montre par montre ce qui était proposé et d’analyser les prix qui ont été atteints.


Les montres de marques japonaises établies


Les trois grands noms de l’horlogerie japonaise étaient forcément représentés, à savoir Casio, Citizen et Seiko.

Casio

L’unique représentante de Casio est, vous vous en doutez, quand même une montre exceptionnelle puisqu’il s’agit de la référence G-D5000-9JR. Ça ne vous dit rien? Il s’agit tout simplement d’une G-Shock… en or massif 18 carats !

Sortie à 35 exemplaires pour les 35 ans de G-Shock, cette montre au doux nom de G-Shock Dream Project “Pure Gold” a été allouée via une loterie aux collectionneurs japonais en mai 2019 et, contre toute attente, elle s’est extrêmement vite vendue malgré le prix conséquent de 70 000$ et un poids de 297g, soit environ 235$ le gramme !

Vous pourriez être surpris qu’une telle montre se soit aussi bien vendue, mais vous serez alors encore plus surpris d’apprendre que celle-ci s’est vendue lors de l’enchère environ 139000€, soit un tout petit peu plus du double de son prix catalogue !

Belle performance pour cette montre qui est, je pense, la Casio la plus chère jamais vendue !

Si jamais vous avez 139000€ à investir chez Casio, sachez qu’à la place vous pouvez acheter une FW91 par jour pendant 19 ans. A vous de voir ce que vous préférez…

Citizen

Chez Citizen aussi on ne retrouve qu’une représentante mais pas des moindres: la AQ6110-10L. Comprenez par là qu’il s’agit d’une The Citizen équipée du fameux calibre à quartz 0100 donné pour une précision hallucinante de +/- 1 seconde par an. Ce modèle présente en plus un cadran en papier washi teinté à la main à l’indigo naturel, dans la ville de Tokushima, berceau de l’Aizome (teinture à l’indigo), où on retrouve les derniers artisans qui font pousser et macérer eux-même les fleurs d’indigo.

Il s’agit d’un modèle plus courant sorti fin 2022 pour le prix de 880,000¥ au Japon, soit actuellement environ 5550€ (novembre 2024). 

Celle-ci est partie pour 3400€, ce qui semble être une bonne affaire pour l’acheteur. 

Citizen ne proposant presque pas, à ma connaissance, de pièce très coûteuse ou un peu excentrique comme cette Casio en or massif, je pense qu’il était difficile de trouver une pièce qui attise la folie dépensière des enchérisseurs. On aurait pu espérer voir le tourbillon Citizen créé par Hajime Asaoka, mais ce n’était malheureusement pas le cas. Le prix reste légèrement supérieur aux estimations de Phillips, mais celles-ci étant notoirement toujours très basses, il n’y a pas grand chose à dire sur ce résultat quelconque pour Citizen.


Seiko

Sans grande surprise, Seiko est de loin la grande marque japonaise la plus représentée dans cette enchère avec pas moins de 9 pièces.


Seiko vintage

Dans les vintage proposées, on retrouve quatre modèles exceptionnels

Seikosha Tensoku

Si vous êtes déjà lecteur de Wadokei, vous connaissez cette montre. Si ce n’est pas encore le cas, je vous invite à lire cet article.

Le modèle proposé pour la vente semble être en très bon état. Il s’agit de la version tardive avec un mouvement 9 rubis. A ma grande surprise, celle-ci s’est vendue à peine au-dessus de son estimation, à environ 10000€, soit globalement le prix du marché pour ce modèle.

Après considération, la Chine n’était peut être pas le meilleur endroit pour vendre à prix record une montre destinée à l’armée impériale du Japon… 

Seiko Astronomical Observatory Chronometer

Que vous l’appeliez 45GSN, 45AOC ou Astronomical Observatory Chronometer, cette montre est un des mythes de l’histoire de Seiko ! Après la victoire de Seiko aux concours de chronométrie de Genève et Neuchâtel en 1968, l’observatoire de Neuchâtel a continué d’accepter de tester et certifier des mouvements. Seiko a donc envoyé 103 calibre 4520A et 73 ont réussi les tests très exigents de l’observatoire. Au lieu de communiquer dessus et de mettre ces mouvements dans un tiroir, Seiko a décidé de les emboîter dans une montre unique entièrement en or avec un travail de texture impressionnant sur le cadran et la carrure, alors que ces mouvements ne sont habituellement pas destinés à la commercialisation. En 1969 ce sont 25 mouvements sur 30 qui sont certifiés, puis 128 sur 150 en 1970. Il y a donc eu un total de 226 45GSN fabriquées en vendue sur une période de 3 ans. Si le sujet vous intéresse et que la langue de Shakespeare ne vous impressionne pas, je vous conseille cet article détaillé d’Anthony Kable sur le sujet.

La montre présentée pour l’enchère a été exposée quelques mois au Seiko Museum de Tokyo. Le barillet montre également des traces d’oxydation non-négligeables, les photos d’Hodinkee montrent un cadran relativement oxydé (chose que je n’avais pas vu sur les photos de Phillips). Ces détails expliquent sûrement le prix réalisé de 54000€, qui est dans la moyenne de ce qu’on peut espérer trouver maintenant pour ce mythe de l’histoire de la marque. Un résultat donc correct, mais pas particulièrement remarquable pour autant.


Grand Seiko VFA Day-date

Je crois qu’il n’est plus nécessaire de présenter la VFA. Celle-ci était la propriété de Mark Cho, de The Armoury, et se retrouvait dans le fameux livre “A man and his watch”. Le boitier semble ne pas avoir été poli mais le verre n’est pas d’origine et le cadran est marqué. La version day-date étant la moins commune et la plus recherchée, j’étais curieux de voir si la provenance de la montre allait compenser ses petits défauts.

Elle s’est vendue 27800€, ce qui est un prix très élevé pour une 6186 VFA. Mais puisqu’il est de plus en plus difficile d’en trouver en bel état, je crois que les prix vont gentiment augmenter au cours des prochaines années. Ceci étant dit, cela reste un très bon résultat, sûrement expliqué par la provenance de la montre.


Seiko Divers 6215-7000


Chaînon manquant entre la 62MAS et la fameuse plongeuse pro 6159, ancêtre de la MM300, la 6215-7000 est un des modèles de plongeuse vintage les plus appréciés des collectionneurs. Dans un très bel état, avec un insert de lunette très bien conservé et pas d’oxydation sur les index et les aiguilles (bien que je pense que l’aiguille des heures ait été re-lumée) et équipée d’un verre de rechange (celui d’origine semble être vendu avec), elle s’est vendue 7700€, soit plus ou moins le prix du marché, voire même un bon prix compte tenu de l’état et de la présence du verre d’origine.

Grand Seiko modernes


SBGW239

First en platine sortie pour les 130 ans de Seiko en 2011, cette montre également venue de la collection personnelle de Mark Cho est une pièce vraiment destinée aux connaisseurs de GS. Version platine de la fameuse SBGW033, il est intéressant de faire le parallèle entre ce modèle et la vraie First en platine de 1960, une des montres les plus rares de l’histoire de Seiko, d’autant plus que cette version moderne fait la même taille que celle d’origine et pourrait donc être considérée comme sa meilleure réédition moderne.

Son prix réalisé de 17000€ ne semble pas très impressionnant non plus, puisqu’il s’agit plus ou moins du prix qu’on peut espérer payer pour cette montre. Il s’en est vendu une à Genève en 2019 pour un petit peu plus (20000€ au taux de change actuel). Ce n’est donc pas un résultat très impressionnant, mais qui ne me surprend pas vraiment puisqu’on est quand même éloigné du style actuel de GS avec une montre petite et sobre.


SBGZ009

Masterpiece du Micro Artist Studio avec son boitier en platine gravé à la main, ses aiguilles et ses index en or blanc et son mouvement aux terminaisons exceptionnelles (anglage main, angle rentrant etc), il s’agit de ce qu’on peut espérer de mieux venant de Grand Seiko.

Vendue 80000€, elle s’est vendue lors de l’enchère pour le prix de 54000€, soit une bonne affaire pour l’acheteur mais un résultat décevant pour la marque, surtout pour une vente dans une maison d’enchère où l’on est habitué d’avoir des prix bien au-dessus des prix du marché !

Credor

GBLR99 aka Eichi I

Si la Credor Eichi II est maintenant très connue des amateurs, l’Eichi I sortie en 2008 à seulement 25 exemplaires est beaucoup plus confidentielle. Plus petite, avec son cadran plus complexe en porcelaine fait par la fameuse maison Noritake, son mouvement en maillechort et plein d’autres détails uniques, il s’agit d’un modèle que l’on ne voit presque jamais proposé à la vente et qui surclasse la version actuelle de l’Echi au moins par sa rareté, mais aussi par ses détails selon à quel collectionneur vous demandez !

Et le prix réalisé par cette montre est probablement la plus grosse surprise de cette vente aux enchères, puisque le marteau s’est abattu pour le prix d’environ 216000€ !

Pour information, le prix de la Credor Eichi de 2008, au taux de change actuel, était d’environ 37000€.

Le résultat obtenu par cette Eichi signe le caractère mythique et rarissime de cette version déjà extrêmement prisée des collectionneurs et la fait définitivement entrer dans le panthéon des montres japonaises !


GBLQ998

La Credor Sonnerie fait partie des montres les plus intrigantes et complexes jamais proposées par Seiko. Avec son mouvement squelette logé dans une version miniature d’un orin japonais (ou bol bouddhiste), ce modèle Spring Drive sorti en 2006 est toujours au catalogue (contrairement à la répétition minutes). Son prix n’a pas changé et flirte avec les 139000€. Le prix réalisé lors de l’enchère de 77000€ n’est donc pas un signal très positif. Cette enchère aura donc fait un heureux, mais c’est clairement pas le vendeur qui avait acheté cette montre il y a seulement trois ans… Et vu le prix réalisé par l’Eichi, le fait que ce soit un Spring Drive ne suffit pas à expliquer ce résultat un peu décevant !

GCBY997

Encore un nom pas très sexy, mais comme vous le savez déjà, c’est une spécialité des japonais… À cette référence digne de Star Wars, je préfère son nom officieux Ryusei Raden. Ryusei veut dire météore ou étoile filante et Raden est le nom de la technique d'incrustation de nacre dans de la laque.

Cette belle Credor équipée du calibre 68 ultra fin et de ce magnifique cadran est une édition limitée de 60 pièces sorties en 2023 et proposée à environ 10400€ au Japon. Le prix réalisé de plus de 26000€ est donc une belle surprise, peut être expliquée en partie par le fait que cette montre appartenait également à Mark Cho. Il peut tout de même sembler surprenant qu’un modèle simple et très récent se vende 2,5x le prix du neuf quand la Sonnerie s’est vendue pour la moitié de son prix catalogue !

Voilà qui clôture donc les résultats obtenus par les grandes marques japonaises. Si la Casio et la Credor Eichi sortent du lot pour leurs prix extrêmement hauts réalisés, le reste est plutôt en demi teinte, avec surtout la VFA et la Credor Ryusei Raden de Mark Cho qui réalisent de bons prix, et des prix moyens voir bas pour le reste, les deux grandes surprises étant pour moi la Credor Sonnerie et la Grand Seiko Masterpiece. Au moins, on est sûr que Seiko ne fait pas comme les grandes marques Suisses et ne truque pas les enchères en achetant eux-mêmes les montres pour faire grimper les prix artificiellement !


Passons maintenant aux horlogers indépendants.



Les montres d’horlogers indépendants japonais




Precision Watch Tokyo

Je vais commencer par parler de Hajime Asaoka, car même si aucune montre présentée ici ne porte son nom sur le cadran, il est derrière 6 lots présentés lors de la vente.

Etant un des pionniers des horlogers indépendants japonais, son nom vous dit sûrement quelque chose. Bien qu’il ait fabriqué des tourbillons exceptionnels en son nom et pour Citizen, il a été plus largement connu depuis la création de sa marque bien plus abordable: Kurono Tokyo.

Il est aujourd’hui à la tête de Precision Watch Tokyo, ou PWT pour les intimes, une entreprise qui regroupe 4 marques: Hajime Asaoka (sa marque indépendante très haut de gamme), Otsuka Lotec créée par Jiro Katayama (qui vient de recevoir le prix Challenge du GPHG), Takano, une marque historique japonaise qui appartient maintenant à Ricoh mais pour laquelle PWT a obtenu une license pour utiliser le nom, et Kurono Tokyo qu’on ne présente plus.

Kurono Tokyo Grand Niji

Kurono Tokyo a présenté un modèle unique nommé Grand Niji et il s’agit de la première Kurono avec un boîtier en or. Son cadran est fait en laque par l’artiste Megumi Shimamoto avec qui la marque a déjà collaboré. La technique utilisée permet, après application de plusieurs couches, d’obtenir un rendu arc-en-ciel pailleté absolument hypnotisant !

Avec un prix de presque 28000€, je pense qu’il s’agit d’un bon signal pour la marque habituée plutôt à des montres en acier d’un prix habituellement bien plus contenu. Je dois dire que je m’attendais à un prix un peu plus élevé, mais cela reste un bon résultat compte tenu du calibre basique utilisé et le positionnement habituel de la marque.


Kurono Tokyo Chronograph 2

La seconde Kurono de l’enchère n’était pas fournie par la marque puisqu’il s’agit du Chronograph 2 sorti en 2021. Ce chrono automatique de 38mm équipé du classique mouvement Seiko/Time Module NE86 et qui reprend le style reconnaissable de la marque s’est vendu environ 5400€, soit un prix élevé mais pas pour autant délirant lorsque l’on sait que les chrono de la marque se négocient plutôt entre 3 et 4000€ habituellement.

Takano Chateau Nouvel

Hajime Asaoka a annoncé il y a peu qu’il relançait la marque Takano, endormie pour la plus grande partie de ces 60 dernières années. Le style se rapproche beaucoup de Kurono Tokyo, avec probablement la volonté de montrer la patte d’Asaoka dans le design, mais le positionnement n’est clairement pas le même. Avec un boîtier au polissage zaratsu et une certification de l’observatoire de Besançon pour le calibre Miyota embarqué, le nouveau chronomètre sera proposé à la vente au prix de 5500€ environ au Japon.

Le modèle unique proposé aux enchères est équipé d’un cadran rose d’une couleur appelée au Japon toki-iro, littéralement la couleur de l’ibis japonais. Vous remarquerez que l’ibis en japonais se prononce toki, homonyme de l’enchère du jour.

Et grande surprise, cette montre s’est vendue un peu plus de 26000€ ! Voilà qui fera une bonne pub pour la nouvelle marque de l’écurie d’Hajime Asaoka !


Otsuka Lotec

Otsuka Lotec est une jeune marque avec le vent en poupe ! Lorsque j’ai découvert cette marque il y a environ deux ans, Jiro Katayama faisait encore ses montres seul dans son petit atelier du quartier d’Otsuka, à Tokyo, comme il le faisait depuis 2008. Peu ou pas d’infos en ligne, des montres dispo occasionnellement, au fur et à mesure qu’elles sont faites, et qui semblent se vendre très vite, et évidemment aucune communication en anglais.

Il s’avère qu’en 2022, je ne fus évidemment pas le seul à découvrir cette marque ! 

Jiro Katayama
Credit: otsuka-lotec.com

C’est cette année-là que Hajime Asaoka découvre le travail de Katayama-san et décide d’investir dans la marque. Jiro Katayama continue à travailler sur les protos dans son atelier et supervise maintenant la production des horlogers de PWT. Malgré la difficulté à obtenir des montres (il faut être résident japonais et avoir une carte bancaire japonaise pour participer au tirage au sort), la marque a prit en popularité en 2023 grâce à Swiss Watch Gang puis encore en 2024, jusqu’à remporter le Prix Challenge du GPHG cet automne.

C’est dans ce contexte favorable que trois montres sont présentées aux enchères.



N°6 Shinonome

Son nom signifie le ciel juste avant l’aube. Il s’agit du modèle N°6 (récompensé au GPHG) avec un cadran semi transparent et un boitier traité noir. Le modèle de base, équipé d’un Miyota et d’un module fait maison, coûte approximativement 2800€ au Japon. Mais il semblerait que le prix remporté au GPHG ait boosté le résultat de cette vente puisque cette pièce unique proposée spécialement pour l’enchère s’est vendue près de 65000€ !!!

N°6

En plus de la version Shinonome, une N°6 classique a été mise en vente par son propriétaire originel qui l’avait achetée au mois d’avril cette année et qui a réussi une sacrée bonne affaire puisque celle-ci s’est vendue un peu plus de 57000€ !!!

N°7.5

Enfin, une troisième Otsuka Lotec d’août 2023 a été proposée à la vente. Il s’agit cette fois-ci d’un modèle au look différent mais qui suit le même principe: un classique Miyota coiffé d’un module maison. Et bien que le prix soit bien moins élevé que les deux N°6 que l’on vient d’évoquer, celle-ci s’est tout de même vendue 20000€, soit près de 10x son prix originel de 2200€.

C’est donc un carton plein pour Otsuka Lotec qui continue une année mémorable après sa victoire au GPHG ! Clairement une des bonnes surprises de cette enchère !


Je conclurai cette partie articulée autour des marque d’Hajime Asaoka en précisant que, sous l’impulsion de Jiro Katayama, l’intégralité de l’argent généré par la vente des trois montres fournies par Precision Watch Tokyo (les trois autres viennent directement de collectionneurs) sera utilisée pour aider l’industrie de la laque de Wajima qui a été gravement touchée par un tremblement de terre le 1er Janvier 2024. 


Naoya Hida type 1D-2

Naoya Hida est quelqu’un de très connu dans le monde de l’horlogerie au Japon puisqu’il travaille dans ce milieu depuis 1990. C’est avec presque 30 ans d’expérience, d’abord dans la vente et le marketing, puis dans la distribution pour FP Journe et Ralph Lauren Watch, qu’il lance sa marque en 2018. Très appréciée des collectionneurs, sa petite production de quelques dizaines de montres par an s’arrache, au point que les attributions sont faites par un système de loterie ! 

Kosuke Fujita, horloger, Naoya Hida, CEO et créateur de la marque, Keisuke Kano, graveur
Crédit: naoyahidawatch.com

Le modèle présenté ici n’est pas une pièce unique à proprement parler, il s’agit du modèle 1D-2, mais le vainqueur de l’enchère pourra faire personnaliser sa montre avec une gravure unique, en collaboration avec Keisuke Kano, le graveur de la marque.

Si vous faites partie des 5 heureux élus qui auront le droit d’acheter une 1D-2 directement auprès de la marque en 2024/2025, cela vous coûtera environ 36600€. Et visiblement, il y avait du monde qui se bousculait au portillon puisque celle vendue par Phillips est partie pour un peu plus de 77000€ ! Signe, s’il en fallait, du succès de cette belle marque japonaise auprès des collectionneurs !


Je conclurai enfin avec mes deux chouchous, ou plutôt mes trois chouchous !


Masahiro Kikuno

Le premier est quelqu’un que j’admire depuis des années, et il est de loin mon horloger préféré: Masahiro Kikuno. Malgré son jeune âge, c’est le premier indépendant Japonais, puisqu’il exerce depuis 2011 et a rejoint l’Association Horlogère des Créateurs Indépendants en 2013. Il s’est fait connaître entre autres avec sa Wadokei Revision, une version modernisée des wadokei, pour la première fois en montre-bracelet. Mais comme ça ne suffisait pas, il fait tout à la main, selon les techniques d’époque ! 

Masahiro Kikuno
Crédit: europastar.com

Il a présenté deux montres à l’occasion de TOKI.

Masahiro Kikuno Tourbillon 2012

Voici tout simplement la première montre que Masahiro a vendu en 2012. Un collectionneur, conquis par le travail de Kikuno-san, avait acheté lors de Baselworld 2012 une paire de tourbillons: le premier en argent, le second en or rose. Alors que le collectionneur était trop attaché à sa montre pour vendre la version en argent, Kikuno-san a d’abord refusé de séparer la paire, mais le collectionneur en question a insisté pour que Masahiro vende celle en or rose afin de pouvoir financer son travail sur de prochaines créations.

C’est donc une pièce exceptionnelle et à la valeur sentimentale très élevée qui fut proposée ici, accompagnée d’une livre photo qui retrace toutes les étapes de la fabrication de la montre, toujours selon les techniques des horlogers de jadis.

C’est avec grand plaisir que j’ai pu constater que je ne suis évidemment pas le seul à admirer le travail de Masahiro Kikuno, puisque malgré une estimation très pessimiste située entre 23 et 46000€, alors que l’horloger en demandait 90000€ en 2012, elle s’est vendue pour la rondelette somme de 278000€ !! Une très belle réussite pour cet horloger peu connu mais très apprécié des amateurs d’horlogerie japonaise !!

Masahiro Kikuno SO

La deuxième pièce qu’il a proposé pour l’enchère est très différente de la première. Contrairement à ses habitude, Masahiro a cette fois-ci réalisé cette montre sur la base d’un calibre Seiko NH34 et a pour la première fois utilisé une CNC pour l’assister dans la fabrication du module de carte du ciel et pour la fabrication du cadran. Mais pourquoi passer d’un travail manuel ancestral à la CNC? Et bien tout simplement parce que Masahiro enseigne maintenant dans l’école horlogère de Tokyo et qu’il souhaitait apprendre à ses étudiants à travailler avec une CNC. Il a donc réalisé une montre pour lui, facile à porter au quotidien, et une seconde pour l’enchère. Mais il précise bien qu’il ne compte pas continuer à proposer ce genre de produit, puisqu’il préfère évidemment le travail manuel, plus long et difficile, mais plus beau au final.

Cette montre estimée entre 580 et 2100€ s’est finalement vendue… 105000€ !!!

Etonnant quand on voit qu’il s’agit d’un simple mouvement Seiko et d’un module fait à la CNC, mais cela montre le statut qu’à obtenu Masahiro Kikuno au fil des années, et je ne peux que me réjouir pour lui ! 


Ces résultats obtenus par le jeune horloger originaire d’Hokkaido laissent entrevoir un avenir serein pour lui et une vraie reconnaissance de la communauté horlogère pour son travail hors du commun !

Masa’s Pastime

Je conclurai avec l’horloger indépendant peut-être le moins connu pour l’instant sous nos latitudes, et pourtant pas des moindres: Masa Nakajima.

Je ne m’étendrai pas trop sur le sujet puisque j’ai eu le plaisir d’aller à sa rencontre lors de mon dernier voyage à Tokyo et que je vous prépare un article sur le sujet qui paraîtra dans le premier numéro de Wadokei Magazine !

En quelques mots, Masa est passé de plongeur professionnel à brocanteur puis à horloger, un parcours plutôt atypique ! Sa boutique située dans le quartier de Kichijōji, à Tokyo, s’est développée en proposant des services d’horlogers, la vente de montres de poches, mais également la possibilité de transformer des mouvements de poche en montre bracelet, en faisant tout sur place. Et depuis peu, il a également lancé la fabrication de mouvements maison et de montres sous sa propre marque Masa&Co. Et comme vous vous en doutez, le “&Co” fait référence à toute une équipe d’horlogers, décorateurs et graveurs qui travaillent avec lui au quotidien !

Masa’s Pastime répétition minutes

La première montre proposée fait encore partie de la collection de Mark Cho, l’homme de l’ombre de cette enchère Phillips. Il s’agit d’une commande qu’il a passé à son ami de Kichijōji pour emboîter un mouvement à répétition minutes de A. Golay-Leresche & Fils du XIXe siècle, avec son cadran en émail, le tout dans un boîtier de montre-bracelet.

Masa se focalisant maintenant sur sa nouvelle marque, il n’est plus possible de demander la personnalisation de montre bracelet sur base de mouvement de poche, il s’agissait donc là de la dernière occasion pour qui que ce soit de mener ce genre projet au bout avec Masa et son équipe. En effet, la montre n’est équipée pour l’instant que d’un boitier prototype et non pas du boitier final en or blanc que Mark Cho avait imaginé.

Cela n’a pas empêché la montre d’atteindre le prix de 46300€, un score plus qu’honorable pour cette montre atypique que l’heureux possesseur pourra finir de personnaliser dans le fabuleux atelier de Kichijōji ! Un très bon début pour Masa et son équipe !


Masa&Co Nayuta Model A - TOKI

Parmi la brillante équipe de Masa se trouve le jeune horloger Nayuta Shinohara, entre autres vainqueur du prestigieux Walter Lange Watchmaking Excellence Award en 2020.

Masa a décidé de montrer la confiance qu’il donne à Nayuta et lui a laissé libre court pour la création d’un modèle de son choix pour inaugurer la marque Masa&Co.

Nayuta Shinohara
Crédit: masaspastime.com

C’est ainsi qu’est sorti en 2023 le modèle Nayuta, du prénom de son concepteur, fruit du travail conjoint du jeune Shinohara-san et de ses collègues de l’atelier.

Le modèle proposé pour l’enchère reprend le mouvement maison et le design du modèle Nayuta A, mais avec un cadran sublime gravé à la main par le graveur de l’atelier.

Encore une fois, je ne m’étendrai pas plus ici puisque l’article prévu pour le premier numéro de Wadokei Magazine reviendra sur le sujet dans les moindres détails !

En tous cas, j’ai été ravi de constater le succès de cette pièce qui s’est vendue presque 68000€, soit bien plus que les 45000€ du modèle que propose la marque. Un très beau score pour cette jeune marque qui mérite qu’on parle d’elle et dont on devrait entendre parler de plus en plus !


Conclusion


On voit donc que les résultats pour les indépendants sont bien plus satisfaisants que pour les grandes marques, ce qui confirme une tendance installée depuis déjà plusieurs années. Acheter la montre d’un indépendant, c’est se payer une pièce d’artisanat mais aussi un morceau de l’âme d’un horloger. La démarche qui amène aux horlogers indépendants n’est pas la même que celle qui pousse à rentrer dans la boutique d’une marque établie. Il se crée une connexion personnelle beaucoup plus forte avec un indépendant, non seulement car les choses sont souvent bien plus transparentes, mais aussi parce qu’on ne fait pas seulement une transaction, on fait une rencontre. Et je pense que c’est en grande partie ce qui explique aujourd’hui le succès des indépendants. 

Nayuta Shinohara, Masahiro Kikuno, Naoya Hida, Masa Nakajima, Mark Cho
Credit: Homer Narvaez pour Tokyo Watch Club 
https://tokyowatchclub.jp/

Je suis donc ravi de constater que cette enchère historique dans l’histoire de l’horlogerie japonaise a permis au monde de découvrir ou de revoir des noms et des visages qui, je l’espère, deviendront familier pour les amateurs. Au-delà des montres, apprendre à connaître les personnes qui les fabriquent reste toujours, à mon sens, un des plus beaux aspects de la passion horlogère. J’ai hâte de vous présenter, dans les mois et les années à venir, tous ces artistes et ces artisans qui donnent un nouveau souffle à l’horlogerie nippone !

En tous cas je tiens à féliciter chaleureusement ces personnes hors du commun qui ont eu l’occasion de briller devant la communauté horlogère et bravo à Mark Cho qui a œuvré dans l’ombre pour mettre ces personnes sur le devant de la scène ! Ils méritent tout ce succès et même encore plus !

皆さんお疲れさまでした !!

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Arnaud.A Arnaud.A

Seikosha Tensoku: la montre des Tokkotai

J’ai écrit cet article en Octobre 2017 pour le site Les Rhabilleurs, où il est toujours disponible: https://www.lesrhabilleurs.com/2017/10/seiko-seikosha-tensoku-tokkotai/
Je le partage ici également car un des objectifs de ce site est de regrouper tous mes écrits en un seul et même lieu.

Un contexte historique et culturel très particulier

«Le devoir est plus lourd qu’une montagne ; la mort est plus légère qu’une plume.»

Fin octobre 1944.

Le fameux Yukio Seki est mort en héros en envoyant son Mitsubishi Zero contre le pont d’un porte-avion Américain. Il était à la tête du tout premier groupement d’attaque spéciale (ou tokkotai), l’unité Shikishima. Les Américains sont aux portes du Japon et l’état-major Nippon sait que les Philippines sont un point stratégique essentiel à tenir. L’unité Shikishima, composée de trois kamikaze et de deux escortes, parvient à couler le St Lo, porte-avion Américain stationné dans le Golfe de Leyte. La solution contre l’ennemi Américain semble toute trouvée. Si un ou deux avions suffisent à couler un tel bâtiment, ils estiment que le sacrifice de trois-cents pilotes devrait pouvoir mettre un terme à la guerre du Pacifique.

Yukio Seki, jeune pilote émérite de seulement 23 ans, est immédiatement érigé au rang de héros national, fils de l’Empire offrant sa vie pour sa patrie.

Yukio Seki

Isao Matsuo a lui aussi 23 ans. Comme Yukio Seki, il a été choisi pour sacrifier sa vie pour l’Empereur en précipitant son chasseur sur un bâtiment Américain. Voici la lettre qu’il a rédigé pour sa famille, quelques heures avant son ultime décollage le 29 Novembre 1944.

Chers parents,

Vous pouvez me féliciter. On m’a offert la chance d’avoir une mort superbe. Aujourd’hui est mon dernier jour. Le destin de notre patrie dépend de cette bataille décisive dans les mers du Sud où je vais tomber, tels les pétales d’un cerisier radieux.

Je vais être le bouclier de Sa Majesté, mourir d’une belle mort avec mon chef d’escadrille et mes amis. Combien j’aurais aimé être né sept fois, pour frapper l’ennemi à chaque fois !

Comme j’apprécie d’avoir la chance de mourir comme un homme ! Je vous suis profondément reconnaissant, à vous qui m’avez élevé, m’entourant de vos prières constantes et de tout votre amour. Et je suis aussi reconnaissant envers mon chef d’escadrille et tous mes supérieurs, qui se sont occupés de moi comme si j’étais leur propre fils et qui m’ont entraîné avec tant de soin.

Merci, mes parents, pour ces 23 années pendant lesquelles vous vous êtes occupés de moi et m’avez guidé. J’espère que ce que je vais faire maintenant pourra repayer au moins en petite partie ce que vous avez fait pour moi. Pensez du bien de moi, et sachez que votre Isao est mort pour notre pays. C’est mon dernier souhait. Il n’y a rien d’autre que je désire.

Mon esprit reviendra vers vous. J’attends avec impatience votre visite au sanctuaire Yasukuni. Prenez bien soin de vous.

Combien est glorieuse l’unité Giretsu des forces d’attaque spéciales, dont les bombardiers Suisei vont fondre sur l’ennemi ! Notre but est de plonger sur les porte-avions ennemis. Des cameramen sont venus faire des prises de vues. Il est possible que vous nous voyiez au cinéma, pendant les actualités.

Nous sommes seize guerriers aux commandes de bombardiers. Que notre mort soit soudaine et propre, comme un cristal qui se brise.

Ecrit à Manille, la veille de notre mission.

Isao

La lecture de ces lignes terrifiantes et de l’histoire du héros Yukio Seki confirment l’idée que l’on se fait généralement des kamikazes: un groupe de soldats volontaires pour sacrifier leur vie dans un ultime acte de bravoure.

Et pourtant, comme souvent, la vérité est beaucoup plus nuancé que cela…

Kamikaze ou Tokkotai ?

Kamikaze signifie «Vent des Dieux» et fait référence à plusieurs éléments de l’histoire et de la culture Japonaise, principalement aux deux tempêtes qui coulèrent les troupes de Kublai Khan, petit-fils de Gengis Khan, lors des tentatives d’invasions Mongoles en 1274 et 1281. Ces deux tempêtes devinrent symbole de la protection divine contre l’envahisseur.

Aujourd’hui, les Japonais parlent plutôt de Tokkotai, d’unité d’attaque spéciale, le terme de kamikaze n’ayant pas la même connotation que chez nous.

La première «attaque spéciale» de l’armée Japonaise a eu lieu pendant la bataille de Shanghai en 1932. Des soldats se sont fait sauter avec une bombe en territoire ennemi mais il s’avère que cette mission n’était pas sensée être une mission suicide et que les soldats en question ont perdu la vie simplement à cause d’une mèche trop courte…

Cet incident ainsi que quelques autres (comme les sous-mariniers de Pearl Harbour) furent repris par la propagande Japonaise afin de faire de ces morts des héros prêts à sacrifier leurs jeunes vies pour la patrie. Les notions d’honneur et de fidélité étant des préceptes fondamentaux du bushido, le voie du guerrier à laquelle répondaient les samuraï, de tels actes étaient perçus par la population comme le sacrifice ultime d’honorables guerriers fidèles à l’Empereur.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs cas d’avions touchés par l’ennemi et préférant périr en emportant avec eux un maximum de victimes ont été recensés mais il ne s’agissait pas de mission suicide à proprement parler, mais plutôt de mourrir de la manière la plus «efficace» possible.

A gauche, Yukio Araki et un chiot. Araki mourra le lendemain dans une attaque suicide à l'age de 17 ans.

Or, lorsque le vice-amiral Takijiro Onishi forme l’unité Shikishima pour la bataille de Leyte en Octobre 44, leur mission est claire: trois chasseurs ont pour mission de se jeter sur le St Lo, porte-avion Américain situé au large des Philippines. Les pilotes désignés savent qu’ils décollent pour la dernière fois et sont envoyés avec pour seule mission de mourir.

Mais encore une fois, la propagande Japonaise a voulu faire croire à la population qu’il s’agissait d’un acte de bravoure et que les futurs héros étaient fiers d’être élus par l’Empereur comme leur divin bouclier. Yukio Seki fut bien à la tête du premier tokkotai mais son commandement ne lui avait en fait pas laissé le choix…


Entre propagande glorieuse et sombre réalité


L’histoire de Yukio Seki a été reprise immédiatement par la propagande Japonaise qui l’a tourné en héros fier d’offrir sa vie à l’Empereur. Or, d’autres sources affirment aujourd’hui qu’il aurait été désigné de force pour tenir ce rôle et qu’il se serait exclamé, au moment de décoller une dernière fois:

« L’avenir du Japon est bien morne s’il est obligé de tuer l’un de ses meilleurs pilotes. Je ne fais pas cette mission pour l’Empereur ou l’Empire… Je le fais car j’en ai reçu l’ordre ! »

De la même manière, les derniers mots posés sur papier des pilotes appelés étaient systématiquement contrôlés par la propagande qui leur fournissait des modèles à suivre et desquels ils ne devaient pas s’éloigner. La lettre d’Isao Matsuo citée plus haut en est un exemple parfait et ces mots n’étaient malheureusement pas les siens…

Qui étaient réellement ces jeunes recrues ?

Comme nous l’avons dit, la première unité Tokkotai était dirigée par le Lieutenant Yukio Seki, un des meilleurs pilotes de l’armée Japonaise. Il semblerait que l’état major ait décidé d’envoyer certains gradés dans ces missions afin qu’ils servent d’exemples et ne soient pas accusés d’envoyer les nouvelles recrues dans des missions suicide alors que les dirigeants restaient à l’abri.

Credit: LesRhabilleurs.com

Cette technique des «attaques spéciales» devait être un cas isolé, utilisé pour défendre les Philippines et stopper le progrès des Américains. Mais les Japonais ayant été mis en déroute, l’état major décide de généraliser l’utilisation des Tokkotai, sentant rapidement qu’ils ne pourraient reprendre le dessus sur les Américains. Bien que cela ne soit pas présenté de la sorte aux populations et aux armés, le but est maintenant de faire peur à l’ennemi, d’empêcher un débarquement et d’aboutir à une armistice en affichant clairement leur détermination extrême. Rapidement, les attaques suicide se multiplient et les pilotes sont désignés par leur commandement.

Après quelques «exemples» comme Yukio Seki, ce sont finalement les pilotes les moins habiles qui sont envoyés de préférence pour se jeter contre les navires Américains. Les pilotes les plus habiles servent eux à escorter les condamnés. Puis ce sont rapidement des étudiants qui sont appelés sous les drapeaux.

Les étudiants en sciences, en médecine ou en agriculture restent dans les universités et les étudiants en art, en lettres ou proches des mouvements de gauche rejoignent l’armé de terre ou la marine, où ils sont sommairement formés aux manoeuvres aériennes. Là où un soldat Japonais recevait 600h de formation au début de la guerre, les étudiants mobilisés dès 1945 n’ont plus droit qu’à 3 jours de formation, parfois devant mimer les manoeuvres assis dans des boites en bois et tenant un manche à balais à cause du manque d’avions…

La majorité d’entre eux ne verra jamais un bâtiment ennemi puisque la plupart de ces jeunes hommes mourront avant d’atteindre leur cible, victime de problèmes techniques ou de leur incompétence à la navigation. On estime qu’environ 15% des avions se désintégraient en l’air à l’époque où ceux-ci ne sont plus assemblés que par d’autres étudiants.

Tout ceci explique qu’à l’été 1945, seul 8% des pilotes atteignent leur cible, 92% sacrifiant leur vie en vain.

Très peu de pilotes de l’armée ou de la marine Japonaise ont survécu. La totalité d’entre eux était sensée embarquer pour une ultime attaque le 8 août 1945, attaque regroupant les dernières forces des armés Japonaises pour se jeter contre l’ennemi, car être fait prisonnier était une honte suprême. Cette décision fut prise par l’état-major Japonais sans en informer les pilotes, qui ignoraient qu’ils étaient convoqués pour une ultime attaque qui signerait la fin de l’aviation Japonaise

Mais le 6 août 1945, la bombe atomique explose au-dessus d’Hiroshima et cette dernière attaque désespérée n’aura jamais lieu.

Nombreux sont les pilotes qui ont déserté, d’autres ont attendu leur démobilisation pour se fondre dans la foule, avec souvent le regret du survivant et le souvenir des amis s’envolant une dernière fois. Mais assez paradoxalement, c’est la bombe nucléaire qui arracha ces hommes de leur funeste destin. Dans les mois difficiles qui suivirent la fin de la guerre, il n’était pas rare que d’anciens militaires soient pris à partie dans la rue puis passés à tabac par des habitants ayant tout perdu dans la guerre et cherchant à rediriger leur colère vers ceux qui leurs semblaient être fautifs…

Le 15 Août 1945, partout dans le pays les gens se sont prosternés et ont pleuré lorsqu’ils ont entendu pour la première fois la voix de l’Empereur Hiroito à la radio, annonçant la défaite du Japon et la reddition inconditionnelle aux Américains.

Des japonais réagissent à la reddition de l'Empereur Hiroito

Les montres de ces pilotes : Venons en aux faits

On sait assez peu de choses sur les montres que portaient les pilotes de l’armée Japonaise.

Ce que l’on sait, c’est que ces montres n’étaient pas des montres de dotation mais devaient être achetées à l’armée qui se fournissait chez Seikosha, pour qui elles portaient le nom de Type 19. Il s’agissait plus souvent de cadeaux des proches des pilotes, fiers de l’honneur que ces jeunes pilotes apportent à leurs familles.

Seikosha fournit pour les pilotes principalement des horloges qui équipent les cockpits des avions, des montres bracelet et plus rarement des chronographes. On peut noter que les horloges des cockpits et les montres bracelet partageaient le même mouvement basique.

Finalement, la plupart des pilotes portaient l’horloge de leur cockpit autour de leur cou, tenue par un morceau de toile de parachute, ce qui est confirmé par nombre de photos d’époque.

Les montres bracelet étaient fabriquées pour la navigation et proposaient un réhaut tournant gradué, controlé par la lunette cannelée de la montre qui permettait de calculer les temps de vol.

Il semblerait que ces montres n’étaient pas des plus courantes chez les pilotes et qu’on les retrouvait plutôt au poignet des chefs d’escadron ou des pilotes escortant les chasseurs destinés à fondre sur l’ennemi.

Credit: LesRhabilleurs.com

Cela semble se confirmer, encore une fois, par le fait que finalement, une grande partie des tokkotai n’étaient pas des pilotes expérimentés et ne faisaient que suivre tant bien que mal leur escadron, ne disposant pas des connaissances nécessaires à la navigation, alors que les pilotes expérimentés étaient assignés au rôle d’escorte.

On comprend donc qu’au-delà de la nature même des «attaques spéciales», ces montres sont excessivement rares aujourd’hui du fait qu’aucun membre des tokkotai ne fut capturé, que les survivants ne furent pas nombreux et que ces montres-bracelet n’étaient pas monnaie courante.

Credit: LesRhabilleurs.com

Les informations sur ces montres-bracelet ne sont pas énormes mais voici ce que l’on en sait aujourd’hui:

Les cadrans étaient peints à la main, avec des aiguilles, des marqueurs et les chiffres 12/3/6/9 au radium. Il semblerait que ces montres soient particulièrement radioactives encore aujourd’hui d’après David Thomson du British Museum (vraisemblablement la plus radioactive de leur collection). On peut remarquer sous le radium que les aiguilles étaient bleuies.

Le mouvement est un mouvement classique Seikosha utilisé dans de nombreux modèles. Il s’agit d’un mouvement de 19 lignes, avec 15 ou 17 pierres et spiral Bréguet. Il semblerait que Seikosha ait utilisé différentes versions du même mouvement en fonction du stock disponible. On retrouvait le même mouvement dans les montres de poche ou dans les montres des chemin de fer et des opératrices téléphoniques.

Credit: LesRhabilleurs.com

Elles ont été produites dès 1941 et jusqu’en 1945 et n’étaient donc pas destinées spécifiquement aux kamikaze mais tout simplement aux pilotes de la marine et de l’armée, devenus kamikaze par la force des choses. La quasi-totalité d’entre eux ayant péri avant 1944 et le reste ayant été sacrifié avec les tokkotai, le raccourcit est souvent fait en appelant cette montre la “Seikosha Kamikaze” mais son nom en Japonais est la “Seikosha Tensoku”, signifiant «observation astronomique». Elle est aussi parfois appelée «montre de l’aéronautique navale» bien qu’elle ait visiblement aussi équipé des pilotes de l’armée de terre, moins nombreux.

L’exemplaire présenté ici présente quelques traces d’usure intéressantes. La couronne a perdu son nickelage et le fond de boite est usé et présente de nombreuses traces profondes et rectilignes. Cela indique que la montre a probablement continué d’être portée après la fin de la guerre par son propriétaire qui la remontait régulièrement, ce qui explique l’usure de la couronne. Quant au fond, il ne laisse plus apparaître les gravure relatives au bataillon et à l’avion du pilote, mais l’inspection de la face interne du fond laisse apparaître une série de déformations discrètes, signe que ces indications étaient bien présentes. Les symboles de l’aéronavale sont eux toujours visible à l’intérieur.

L’usure du fond est assez atypique, orientée dans le même sens que la gravure d’origine et avec des coups rectilignes profonds. Il n’est pas impossible que le propriétaire de cette montre, cherchant à cacher l’origine militaire de cet objet, ait volontairement fait disparaître ces indications afin d’éviter toutes représailles.

Bien qu’il soit difficile de retracer l’histoire de cette montre plus en détail, il semble plus que probable qu’elle ait appartenu à un pilote expérimenté, ayant survécu à la guerre et dont la survie ne fut redevable qu’à la tragique attaque d’Hiroshima le 6 Août 1945. Il est probable qu’il continua à porter cette montre après la guerre en effaçant les inscriptions militaires que présentait le fond de boite.

Credit: LesRhabilleurs.com

Parler de ces heures sombres de l’histoire n’est jamais facile tant cela peut raviver des souvenirs douloureux des deux côtés. J’espère que ces quelques lignes sur cet objet chargé d’histoire vous auront aidé à mieux comprendre son origine et le contexte de sa création et de son utilisation, loin des clichés habituels.

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Arnaud.A Arnaud.A

La famille Hattori

Comprendre qui est qui dans la dynastie Hattori, c’est presque aussi compliqué que de connaître tous les personnages de Game of Thrones. Mais la comparaison ne s’arrête pas là car l’histoire des Hattori est, comme dans l’oeuvre de George R. R. Martin, aussi une histoire de guerre de succession. Bon OK, je rajoute peut être un petit peu trop de drama et le terme de guerre est peut-être un peu fort… Et puis il n’y a pas de dragons dans cette histoire il me semble !

Je vous propose aujourd’hui un résumé de l’histoire de la famille Hattori, depuis les parents du fameux Kintaro jusqu’à la génération actuelle, soit 5 générations qui s’étendent des années 1830 à aujourd’hui. Mais au-delà d’un simple arbre généalogique (que vous trouverez à la fin de cet article), je vous propose de voir un petit peu mieux quelles ont été les dynamiques de pouvoir au sein de la famille et comment celui-ci s’est transmis de générations en générations, avec les évolutions que cela représente, mais également pas mal de drama. Une petite touche de Dallas dans Game of Thrones en quelques sortes !

Comprendre qui est qui dans la dynastie Hattori, c’est presque aussi compliqué que de connaître tous les personnages de Game of Thrones. Mais la comparaison ne s’arrête pas là car l’histoire des Hattori est, comme dans l’oeuvre de George R. R. Martin, aussi une histoire de guerre de succession. Bon OK, je rajoute peut être un petit peu trop de drama et le terme de guerre est peut-être un peu fort… Et puis il n’y a pas de dragons dans cette histoire il me semble !

Je vous propose aujourd’hui un résumé de l’histoire de la famille Hattori, depuis les parents du fameux Kintaro jusqu’à la génération actuelle, soit 5 générations qui s’étendent des années 1830 à aujourd’hui. Mais au-delà d’un simple arbre généalogique (que vous trouverez à la fin de cet article), je vous propose de voir un petit peu mieux quelles ont été les dynamiques de pouvoir au sein de la famille et comment celui-ci s’est transmis de générations en générations, avec les évolutions que cela représente, mais également pas mal de drama. Une petite touche de Dallas dans Game of Thrones en quelques sortes !


Les origines de Kintaro Hattori

Kintaro est le fils de Kisaburo Hattori et de son épouse Haruko. Il semblerait que Kisaburo soit né en 1828, on sait qu’il est originaire de Nagoya, d’une famille de samurai devenu de simples marchants. Il quitte Nagoya pour Edo (Tokyo) en 1848 à l’age de 20 ans où il devient antiquaire dans le quartier actuel de Ginza. Il n’est pas riche mais pas pauvre pour autant. Il meurt en 1887 à l’age de 59 ans. A ma connaissance, il n’existe pas de photo de lui.

La mère de Kintaro se prénomme Haruko (fille du printemps), elle est née en 1831 et a donné naissance à un fils unique: Kintaro. Nous n’en savons pas beaucoup plus sur sa vie jusqu’à la création de Seikosha en 1892. Elle jouera un rôle très important lorsque Kintaro crée sa première usine puisqu’elle sera en charge de superviser l’usine et plus particulièrement l’internat. En effet, Kintaro met en place un système de formation interne et sa mère, devenue veuve quelques années plus tôt, devient l’intendante. Elle supervise les clubs de baseball, de kendo, de sumo, de karuta (jeu de cartes traditionnel), elle prépare 3 ou 4 plats différents tous les soirs pour satisfaire les goûts de chacun et elle s’assure que tout le monde évolue dans un contexte le plus favorable possible et va jusqu’à s’occuper de leurs habits. Lorsqu’elle décède le 10 Avril 1915, son testament illustre le genre de personne qu’elle était: elle fait des dons conséquents à l’orphelinat de Tokyo (5000¥), à l’Institut de recherche contre le cancer (3000¥), à trois bourses scolaires de la ville (2000¥) et enfin, elle fait un don de 2000¥ à chaque employé de l’usine à laquelle elle a dédié 23 ans de sa longue vie. Pour comparaison, on estime qu’à cette période le salaire d’un instituteur était de 50¥ par mois. Converti à aujourd’hui, on peut estimer que 2000¥ de l’époque représentent environ 15000€.

Haruko Hattori 1831 - 1915

Première génération: Kintaro et Man Hattori

La vie de Kintaro Hattori fera l’objet de ma première vidéo YouTube dans quelques temps, je ne rentrerai donc pas ici dans les détails.
On peut tout de même rappeler que Kintaro Hattori est né le 21 Novembre 1860 à Edo (Tokyo) et qu’il est mort le 1er Mars 1934 à Tokyo. Il repose aujourd’hui dans le caveau familial du cimetière de Tama, hérigé par son fils Genzo en Avril 1943, aux côtés de ses parents, de son épouse, et d’une partie de sa descendance, mais nous y reviendrons plus tard.

Kintaro Hattori 1860-1934

En 1885, il épouse Man Yamamoto qui lui donnera 15 enfants entre 1883 et 1907. Elle décède un peu plus d’un an après son mari, le 13 Mars 1935. Bien que je n’ai pas trouvé de photo individuelle d’elle, je suppose qu’on peut la voir aux côté de Kintaro Hattori sur cette photo présentée par Shinji Hattori en 2016 lors d’une présentation à Baselworld.

D’après Wikipedia, il aurait été marié deux fois mais la source citée étant un livre en Japonais indisponible en ligne, je ne peux pas confirmer cette information.

Deuxième génération

Je vous passe les détails sur les 15 enfants de Kintaro et Man, mais vous trouverez leurs noms et dates de naissance dans l’arbre généalogique complet au bas de l’article.
Ce qu’il est intéressant de noter ici, c’est surtout que cette génération marque le début de l’empire Hattori. Non seulement Kintaro a été un businessman de talent et un visionnaire, mais il a appliqué ce qui se faisait depuis des siècles: il a étendu son pouvoir en mariant ses enfants. Ses 11 filles ont toutes été mariées à des personnes de pouvoir et/ou influentes, que ce soit dans des domaines politiques, économiques, diplomatiques, médicaux ou médiatiques, la famille Hattori tisse des liens forts avec la haute société japonaise de l’époque.

Parmi ses quatre fils, un décèdera d’une maladie à l’âge de 5 ans. Ses trois autres fils deviendront évidemment les héritiers, mais comme vous vous en doutez, il y a un ordre et une tradition à respecter.

Genzo Hattori (9 Avril 1888 - 6 Février 1959) - Deuxième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)

Le fils ainé est Genzo. Né le 9 Avril 1888, la tradition veut que ce soit lui qui hérite de l’empire familial au décès de son père. Il épouse Eiko Ueno, née en 1899 et fille d’un grand diplomate et haut responsable de la maison Impériale. Premier héritier de la famille Hattori, il représente la tradition et sera le second président du groupe familial à la mort de son père. C’est à lui que l’on doit la création de Daini Seikosha (littéralement deuxième Seikosha). Il quitte ses fonctions en 1946, à la fin de la guerre, et c’est son frère Shôji, de 12 ans son cadet, qui devient le 3e président. Genzo aura trois garçons, Kentaro, Reijiro et Seizaburo. Il meurt le 6 Février 1959 à l’age de 70 ans. Il était un grand pratiquant de la cérémonie du thé et un amateur de tradition japonaise.

Genzo Hattori

Shôji Hattori (20 Mai 1900 - 29 Juillet 1974) - Troisième président de K Hattori Watch Shop (aujourd’hui Seiko Holdings Corporation)

Le second fils de Kintaro est Shôji. De 12 ans le cadet de Genzo, il prend sa suite à partir de 1946 en tant que 3ème président du groupe familial. Bien que n’étant pas le premier héritier, il est considéré comme plus talentueux que son frère. C’est à lui que l’on doit la création de Suwa Seikosha pendant la guerre. Et tout comme Genzo, père de Daini, représente la tradition, Shôji, père de Suwa, représente la modernité. Vous remarquerez qu’ils ont laissé chacun leur trace comme fondateurs de ces deux entités du groupe, chacun à leur image.

Bien qu’il n’y ait pas de sources explicites à ce sujet, il semblerait qu’une première cission arrive dans la famille à cause d’une possible rivalité entre Genzo et Shôji, ce dernier n’étant pas enterré dans le caveau familial de Tokyo, mais à Kamakura, ville côtière au sud de Tokyo et ancienne capitale du Japon.

Shôji aura six enfants avec son épouse Tomoko, trois garçons et trois filles, mais c’est surtout son fils aîné Ichiro, né en 1932, qui jouera un rôle dans la succession. Ses fils auront tout de même tous un rôle au sein de Suwa Seikosha/Seiko Epson.

Shôji Hattori

Takesaburo Hattori (1903 - ???)

Père de cinq enfants et professeur émérite de l’Université Impériale de Tokyo, il a hérité de parts du groupe familial et a siégé en tant que directeur et audit au conseil d’administration.

Les deux héritiers principaux et Kintaro: Genzo et Shôji



Troisième génération

Nous allons commencer avec les héritiers directs de Kintaro, les enfants de Genzo.

Kentaro Hattori (6 Avril 1919 - 1 Septembre 1987) - 4e président de Hattori Watch Co Ltd.

Le premier fils de Genzo (héritier direct, fils ainé du fils l’ainé) est Kentaro Hattori. Diplômé en économie de la préstigieuse Faculté de Keio à Tokyo en Décembre 1941. Il arrête alors ses études et prend un poste au sein de K Hattori Watch Shop (maintenant Seiko Holdings Inc) tout en s’engageant dans l’armée. En Février 1942 il rejoint le régiment d’artillerie lourde Yokosuka avec qui il restera jusqu’à la fin de la guerre, période à laquelle il est stationné à Ouroup, dans les îles Kouriles au nord du Japon.

Lorsqu’il rentre chez lui à Tokyo à la fin de la guerre, son état de fatigue physique et psychologique le pousse à quitter son poste dans l’entreprise familial pour se diriger vers des études d’histoire à Kyoto puis à Tokyo. Il présente sa thèse en janvier 1949 puis est diplômé au mois de mars. En raison d’un contexte social très tendu, il ne trouve pas de place de chercheur en institut et devient professeur en histoire de l’économie à Keio en 1950. Malgré un début de carrière prometteur, son rôle de premier héritier le rattrape et il stoppe sa carrière académique en 1952, alors qu’il a été nommé directeur de Daini Seikosha l’année précédente. Il fait carrière en même temps au sein de Seikosha, Daini Seikosha et Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) dont il sera le 4e président de 1974 à 1983.

Il épouse Keiko Nagata, la fille du président de la NHK (unique groupe audiovisuel public japonais) avec qui il aura trois fils, Junichi, Shinji et Hideo.

Il meurt d’un cancer du pancréas en Septembre 1987 à l’âge de 67 ans. Il repose dans le caveau familial auprès de son père et son grand-père au cimetière de Tama, à Tokyo.

Kentaro Hattori

Reijiro Hattori (11 Janvier 1921 - 22 Janvier 2013) - 5e président de Hattori Watch Co Ltd.

Le deuxième fils de Genzo est Reijiro Hattori. Egalement diplômé de Keio comme son frère Kentaro, il fait carrière au sein du groupe familial avant de prendre la place de son frère ainé en tant que 5e président de Hattori Watch Co Ltd (Seiko Holdings Inc) en 1983.

Son frère Kentaro et son cousin Ichiro meurent en 1987 et il se retrouve comme patriarche de la famille et prend à lui seul les rênes du groupe Seiko. Il est destitué en 2010 suite à une grave affaire mais je reviendrai là-dessus un peu plus loin.

Sa femme Etsuko est la fille ainée de Reikichi Yokohama, directeur du géant japonais de la perle Mikimoto. Je ne sais pas s’ils ont eu des enfants ensemble mais ils adoptent Shinji, le fils de son frère ainé Kentaro, qui reste encore aujourd’hui très proche de sa tante et mère adoptive Etsuko.

Reijiro meurt en 2013 à l’age de 92 ans d’un arrêt cardiaque. Sa veuve Etsuko est aujourd’hui une des plus grandes actionnaires du groupe Seiko avec 8,7% hérités de son mari.

Etsuko et Reijiro Hattori

Seizaburo Hattori (29 Juin 1926 - 26 Juin 1992)

Le troisième fils de Genzo est Seizaburo. On retrouve peu d’informations sur lui, si ce n’est qu’il a été directeur de Sankyo Kigyo, la société de gestion d’actifs familiale, jusqu’à ce que des soucis de santé le pousse à prendre une retraite anticipée en 1977 où il déménage à Vienne, en Autriche avec sa femme violiniste Toyoko (proche de la famille impériale) et ses fils Joji et Koichiro.

Il est intéressant de noter qu’il s’agit du premier fils Hattori à quitter le giron de la famille et de ses guerres de pouvoir pour s’établir en Autriche où vivent toujours ses fils et où il est enterré, loin de sa famille.

Toyoko et Seizaburo Hattori

Continuons maintenant avec les enfants de Shôji Hattori, qui a eu trois garçons et trois filles (et comme souvent, les filles se marient et on n’en entend plus parler, on ne retrouve facilement des traces que des garçons qui restent au pouvoir dans l’entreprise familiale).

Ichiro Hattori (1932 - 26 Mai 1987)

Ichiro semble être à l’image de son père, un homme brillant et un manager reconnu pour ses grandes qualités. Après avoir étudié le droit, il rejoint Daini Seikosha en 1954, en dessous de son grand cousin Kentaro, tout en continuant à se former à Zurich et à Yale. A son retour, il devient directeur de Daini Seikosha en 1961, à l’age de 29 ans, puis président en 1979. Il suit sur les trace de son père et prend la tête de Suwa Seikosha et devient le premier président de Seiko Epson en 1985, ainsi que de Seiko Electronics en 1983. Alors qu’il joue au golf au printemps 1987, il meurt subitement d’une crise cardiaque à l’age de 55 ans. Il repose à Kamakura, aux côtés de son père, et non pas dans le cimetière de Tama avec la branche “Genzo” de sa famille.

Ichiro Hattori

Tout comme son père, Ichiro Hattori était vu comme un excellent leader et jouait un rôle essentiel entre Daini et Suwa Seikosha, permettant un lien entre Suwa, dans les Alpes japonaises, et Ginza, le coeur de l’activité du groupe. Malheureusement il perd la vie à quelques mois d’intervalle de son cousin Kentaro. Etant tous les deux les ainés des fils Hattori Genzo et Shoji, Kentaro étant plutôt du coté de Daini et Ichiro du côté de Suwa (assurant ainsi l’équilibre entre les deux maisons et les deux branches de la famille), leur décès a pour conséquence de mettre tous les pouvoirs entre les mains de Reijiro Hattori, le frère de Kentaro, ce qui mènera Seiko vers une grave crise dont je parlerai un peu plus loin.

Petite anecdote au passage: Ichiro a eu une fille nommée Satoko, qui fut un temps présentie pour devenir la femme du futur Empereur Naruhito, ce qui montre les liens étroits de la famille Hattori avec la haute société Japonaise encore à la fin du XXe siècle !

Satoko Hattori

Akira Hattori (1938 - 2017)

Le deuxième fils de Shôji Hattori s’appelle Akira. Tout comme son frère Ichiro, il fera carrière au sein de Seiko Epson, ne dépassant pas le stade de directeur.

Yasuo Hattori (1941 - 15 Mars 2019)

Tout comme son frère Akira, le troisième fils de Shôji fait carrière au sein de Seiko Epson où il devient président puis président d’honneur. Lorsque son frère et son cousin décèdent en 1987, son oncle Reijiro prend le poste de président de Seiko Epson alors que Yasuo est vice-président et ne peut équilibrer le pouvoir en restant à la tête d’Epson, où Reijiro (de 20 ans son ainé) sera toujours un échelon au-dessus de lui.

Yasuo Hattori

Il me semble intéressant de noter que dans les descendants de Shôji Hattori, seul son fils ainé faisait encore le pont entre Suwa et Ginza, mais après son décès en 1987, les fils de Shôji restent centrés sur Seiko Epson, alors que le reste des entreprises familiales se retrouvent entre les mains de Reijiro Hattori, dont le frère ainé est décédé et dont le petit frère a quitté le business familial 10 ans plus tôt.

Cette troisième génération marque donc un vrai tournant dans le jeu de passation de pouvoir au sein de la famille Hattori.

Les principaux acteurs de la troisième génération Hattori

La séparation déjà commencée entre Genzo et Shôji se fait plus marquée, Ichiro tente de faire basculer Seiko vers les nouvelles technologies alors que Reijiro considère les usines (Seikosha pour les horloges, Daini et Suwa pour le reste) comme secondaires et considère les activités commerciales du groupes (et donc Hattori Clock Co Ltd, future Seiko Holdings) comme plus importante.

Pierre-Yves Donze, dans “Rattraper et dépasser la Suisse” (p382) explique la situation avec encore plus de clareté:

“Le retard relatif du groupe Hattori dans sa diversification s’explique par les débats passionnés que cette question soulève au sein de la famille Hattori, menant à des conflits entre les représentants de la troisième génération de patrons qui dirigent le groupe depuis 1974. Alors que les patrons de la seconde génération, Genzo puis Shôji, avaient poursuivi le modèle paternel d’une direction centralisée des activités, les nouveaux dirigeants du groupe opèrent une répartition entre eux des fonctions dirigeantes qui a pour effet d’aboutir à une gouvernance éclatée du groupe. Ces difficultés managériales résultent d’une rivalité entre cousins qui prend la forme d’un conflit entre défenseurs de la tradition et modernistes. Les premiers incarnés par les fils de Genzo, principalement Kentaro, puis, après son décès prématuré, par son frère Reijiro qui prend la direction (1974) puis la présidence (1984) de Hattori Watch Co Ltd. En gardiens de la tradition familiale, ces deux frères privilégient les activités horlogères du groupe. Face à eux, leur cousin Ichiro, fils de Shôji, de culture internationale, dirige les sociétés Epson, Suwa Seikosha et Seiko Instruments (Daini Seikosha). Il met en place la globalisation du système de production de Hattori Watch Co Ltd et supervise la délocalisation de la production en Asie. Favorable à une diversification accrue vers les nouvelles technologies, il oriente ces entreprises vers l’électronique. Ces conflits se poursuivent dans les années 2000 entre les représentants de la quatrième génération pour des raisons similaires.”

Quatrième génération

On pourrait penser que les choses se complexifient encore un peu avec la quatrième génération, mais ce n’est pas le cas. En tous cas pour ce qui est du rôle joué au sein du groupe familial, la quatrième génération est principalement composée des fils de Kentaro Hattori. En effet, du côté de la branche “Genzo”, il ne semble pas de Reijiro ait eu des enfants, Seizaburo est parti à Vienne, alors que du côté de la branche “Shôji” la femme et les filles d’Ichiro ont vendu leurs parts, on ne retrouve pas de traces de la descendance d’Akira et il semblerait que Yasuo ait fait hériter ses parts de Seiko Epson (probablement à sa fille) à sa mort mais qu’aucuns enfants ne soit impliqués. Mais d’un point de vue de l’implication dans la vie de l’entreprise, le passage de la troisième à la quatrième génération montre l’arrivée de cadres et directeurs extérieurs à la famille, avec tout de même Reijiro toujours présent comme patriarche.

Commençons avec les fils de Kentaro

Junichi Hattori (28 Avril 1951)

En toute logique, Junichi étant le fils ainé, du fils ainé, du fils ainé, c’est lui qui est sensé devenir l’héritier du trône. En bon descendant de Genzo et de Kentaro, il fait se armes chez Daini Seikosha, qui devient Seiko Electronics puis Seiko Instruments.

En 2006, alors qu’il est président et actionnaire principal de Seiko Instruments, il est démis de ses fonctions. C’est le premier gros clash public de la famille Hattori, et elle se passe au sein du “clan Genzo”. Pour Junichi, il s’agit d’un coup de son oncle Reijiro, président honoraire de Seiko Holdings et patriarche du groupe, de son frère Shinji, président de Seiko Watch Corp (partie horlogère du groupe) et de Masafumi Shimpo, directeur de Seiko Instruments. Il annonce porter plainte contre son frère et son oncle, et ceux-ci répondent en portant plainte pour calomnie et diffamation, l’accusant d’avoir mis en place des procédures comptables peu claires pendant son mandat. L’issue de ce gros clash reste inconnue à ma connaissance mais peu importe, les rivalités internes éclatent au grand jour.

Aujourd’hui Junichi est à la tête d’une holding dont les activités semblent se porter principalement sur la Mongolie et il ne semble plus avoir de lien avec l’entreprise familiale.

Junichi Hattori

Shinji Hattori (1 Janvier 1953)

C’est peut être de nos jours le deuxième nom le plus connu après celui de Kintaro, puisque Shinji est aujourd’hui à la tête de Seiko Holdings Inc. Diplômé d’économie à l’Université Keio de Tokyo, comme son père et son grand-père, il commence par travailler chez Mitsubishi (les deux familles sont très proches), il travaille chez Seikosha (fabrique d’horloges), puis Seiko Precision, Seiko Watch Corp et Seiko Holdings. Il devient CEO et président du groupe familial en 2012.

En 2010, il se retrouve au coeur d’un deuxième clash public, cette fois-ci avec son oncle et père adoptif Reijiro. En effet, celui-ci régnant en maître sur le groupe familial, il propulse sa secrétaire au rang de directrice et les deux deviennent quasi tyranniques. Même les hauts gradés qui s’opposerait à l’ancienne secrétaire peuvent se retrouver à faire le ménage dans un entrepôt quelques jours plus tard ! Alors que le harcèlement bat son plein et que les chiffres de l’entreprise s’écroulent, les pressions des avocats et des syndicats poussent le conseil d’administration à renvoyer Reijiro et ses complices. Et la personne qui fait basculer la balance pour le vote n’est autre que Shinji Hattori.

A l’issue de cette histoire, que certains qualifient de “coup d’état” (bien que celui fut nécessaire), Reijiro est retiré de tout rôle actif et devient président honoraire, et c’est Shinji qui prend la tête du groupe familial. Reijiro meurt trois ans après et sa veuve Etsuko reste actionnaire majoritaire (8,7%), alors Shinji possède lui 5,5%. Etsuko et Shinji restent cependant très proches et certains disent qu’il la considère comme sa mère.

Le nom des Hattori sera une dernière fois terni par un procès d’une employée de Seiko aux Etats-Unis en 2015, qui portent plainte contre Etsuko Hattori, l’accusant de harcèlement et préjugés anti-japonais. Encore une fois, l’issue de ce procès n’est pas connue et cette fois-ci l’histoire n’est pas familiale, mais elle s’inscrit dans la continuité des difficultés rencontrées par la famille Hattori dans les années 2000 et 2010, et cette histoire de harcèlement n’est pas sans rappeler ce que l’ancienne secrétaire de Reijiro faisait subir à ses collaborateurs et collaboratrices.

Aujourd’hui Shinji Hattori est le seul membre de la famille avec un rôle aussi prépondérant, bien qu’il reste évidemment des actionnaires et des entreprises qui tournent évidemment toujours autour de la famille Hattori, comme son jeune frère Hideo.

Shinji Hattori

Hideo Hattori

Jeune frère de Shinji, celui-ci semble beaucoup plus discret et les deux seules informations que l’on trouve à son sujet concernent son actionnariat dans le groupe familial (3,9%) et ses rôles de président de Morioka Seiko Industries et directeur de Seiko Watch Corp et Seiko Instruments Inc. On voit donc que malgré une apparente discrétion, celui-ci reste quand même un cadre très important du groupe.

Hideo Hattori

Je passerai rapidement sur Reijiro qui n’a vraisemblablement pas eu d’enfants, ainsi que sur les enfants de Seizaburo.

Le fils ainé de Seizaburo s’appelle Koichiro et a fait carrière dans la musique. Il travaille maintenant en Suisse comme ingénieur du son indépendant.

Koichiro Hattori

Le deuxième fils de Seizaburo s’appelle Joji Hattori, c’est un violoniste de renom comme sa mère, et il est également propriétaire d’un restaurant japonais étoilé à Vienne.

Joji Hattori

Du côté du “clan Shôji”, on ne retrouve mentionnée que Satoko, la fille ainée d’Ichiro, née en 1964, passée à pas grand chose de devenir Impératrice du Japon comme évoqué un peu plus tôt. Elle est, entre autres, directrice du musée d’art Sunritz Hattori de Suwa, où sont entreposées de pièces de la collection d’art de son père Ichiro et de son grand-père Shôji. A priori, il semblerait que tous les Hattori du “clan Shôji” aient aujourd’hui vendu leurs parts.

On voit donc que les générations qui se sont éloignées de l’entreprise japonaise semblent s’être dirigé vers le monde de l’art, et c’est peut être là qu’on retrouve finalement le point commun à ces quatre générations d’Hattori !

Les quatres générations d'Hattori

Je précise évidemment que la famille Hattori est infiniment plus large et complexe que cela, mais d’une part la transmission de pouvoir ne se fait quasi-exclusivement qu’entre hommes (et oui, le Japon reste encore aujourd’hui un pays extrêmement sexiste), et d’autres part il est difficile voire impossible de trouver des informations sur les membres n’étant pas restés actifs dans le groupe familial. Et cela n’aurait de toutes façons pas un grand intérêt de vous en parler…

Si toutes fois vous souhaitez l’arbre le plus complet que j’ai pu faire, vous le trouverez ici. Il existe des arbres encore plus complets en japonais qui illustrent les liens de la famille Hattori avec d’autres grandes familles japonaise, mais là je vous avoue que je baisse les bras !

Bon, c’est bien beau, mais ça m’apporte quoi tout ça?

Alors clairement, pas grand chose ! Et oui, des heures et des heures de travail juste pour satisfaire ma curiosité intellectuelle… Mais on est d’accord que vous n’allez pas regarder votre montre différemment après ce long exposé un poil barbant !

Je pense que ce qui reste intéressant malgré tout, c’est de comprendre les dynamiques de pouvoir au sein de la famille Hattori. On voit que dès la deuxième génération, des tensions semblent exister mais restent très secrètes. On s’en rend compte principalement quand on constate que Shôji Hattori puis son fils décident de ne pas être inhumés avec leur famille à Tokyo mais de leur côté, à Kamakura.

On voit que les tensions continuent avec la troisième génération, dont ce que j’appelle le “clan Genzo” vont plutôt promouvoir la tradition familiale et les activités commerciales, et le “clan Shôji” qui prône la modernisation, l’ouverture sur l’international, les nouvelles technologies, et plutôt une activité de production. Finalement on comprend que Daini/Seiko Instruments soit vu comme “le fils ainé” alors que Suwa/Seiko Epson est plus vu comme le deuxième fils. On comprend mieux d’où vient la rivalité Suwa/Daini. Mais l’implication de certains membres (Shôji puis Ichiro) sur les deux entreprises explique aussi les synergies qui existent et ont existé par le passé.

Mais malgré cette position d’Epson comme étant un peu le second choix, l’implication forte du “clan Shôji” au sein de Seiko Epson a permis à cette entreprise de devenir bien plus importante financièrement que Seiko Holdings. En 2023, Seiko Epson a fait plus de 8 milliards d’euros de revenus contre un peu moins d’1,8 milliards d’euros pour Seiko Holdings. En terme de profits, cela représente 92,8 millions d’euros pour Seiko Holdings et 441,4 millions pour Seiko Epson.

L’affaire Reijiro Hattori

Comme évoqué plusieurs fois, à la mort de son frère et de son cousin en 1987, et avec son jeune frère parti en Autriche, Reijiro se retrouve à la place de patriarche et récupère toutes les responsabilités des différentes entreprises de la holding familiale.

C’est un moment charnière pour Seiko car cela cristallise les tensions et les rivalités familiales qui existaient déjà par le passé. Mais surtout, après une partage de pouvoir opéré par la deuxième génération, celui-ci se retrouve à nouveau concentré dans les mains d’une seule et unique personne.

En donnant énormément de pouvoir à sa secrétaire Noriko Unoura (qui passe de secrétaire de direction à directrice de Wako et directrice de Seiko Holdings) et en plaçant à des postes clé des gens qui lui étaient favorables, Reijiro a développé une emprise très importante sur le groupe. De nombreux articles japonais font part d’une négligence de Reijiro pour le coté manufacturier de l’entreprise, se concentrant sur la partie commerciale, sur la rénovation de Wako ou l’ouverture de boutiques luxueuses. Il semblerait que cette négligence ne date pas des années de Reijiro mais remonte plus loin. Dans tous les cas, il lui a été reproché de ne pas avoir suffisamment fait évoluer l’entreprise en particulier sur la partie fabrication.

Ceci explique peut être certains témoignages d’anciens employés qui relatent avoir eu des difficultés à faire avancer les choses dans les années 90/2000, alors que l’horlogerie mécanique revenait progressivement sur le devant de la scène.

Cela explique probablement aussi pourquoi Shinji Hattori n’a opéré la séparation de Seiko et Grand Seiko qu’en 2017. Avec le recul, on voit aujourd’hui que beaucoup des projets porteurs de GS ces dernières années ont vu le jour au début des années 2010, après le départ de Reijiro Hattori. De nombreux changements et de nombreuses restructurations ont eu lieu depuis, la stratégie ayant beaucoup plus évoluée ces 10 dernières années qu’entre 2000 et 2010.

On voit qu’aujourd’hui, un seul descendant de Kintaro est sur le devant de la scène et c’est Shinji. Les disputes de pouvoir ont écarté une partie de la famille, une autre s’est focalisée sur Epson avant de s’essouffler aussi. Et finalement de nombreuses personnes extérieures à la famille ont prit des postes clés qui étaient avant réservés aux Hattori.

L’entreprise reste donc toujours aux mains des Hattori, que ce soit d’un point de vue de la gestion de la holding ou au travers des actionnaires qui restent encore aujourd’hui (Etsuko, Shinji et Hideo Hattori, mais aussi Sanko Kigyo, la société de gestion d’actifs de la famille)), mais pour combien de temps? Est-ce qu’un cinquième génération va prendre la relève? Seul l’avenir nous le dira…

La maison Hattori

Je conclurai simplement sur une petite anecdote. En 2014, Seiko Holdings annonce la vente de la maison de Kintaro Hattori, construite en 1933 dans le quartier de Shirokane. Celle-ci est achetée par un groupe Singapourien qui annonce construire des résidences de luxe.


Celle-ci est finalement rachetée par un groupe de développement immobilier en 2023. La maison semble toujours intacte et seul l’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce monument unique de l’histoire moderne du Japon. Car au-delà d’avoir été la maison de Kintaro Hattori à la fin de sa vie, celle-ci a été réquisitionnée par les américains à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et il se raconte que la constitution du Japon a été rédigée entre ces murs.

A l’image de cette sublime demeure qui change de mains mais reste toujours aussi somptueuse, espérons que Seiko et Grand Seiko continuent de nous faire rêver peu importe l’implication de la famille Hattori dans l’entreprise familiale !

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Arnaud.A Arnaud.A

Le Japon et la chronométrie - partie 1

Quand on lit des articles sur l’histoire de KS et GS, on lit souvent que la CICC interdit les Japonais d’utiliser le terme chronomètre. Suite à ça, les Japonais créent le JCII et Seiko se remet à produire des chronomètres KS. Mais dès qu’on fait des recherches sur la JCII et le CICC, on ne trouve…rien… Alors qu’en est-il vraiment? Quelle est l’histoire du terme chronomètre, que sont ces organismes, comment sont-ils nés, qu’ont-ils fait et que sont-ils devenus? Existe-t-il vraiment un lien avec le COSC? Est-ce que les Suisses ont vraiment essayé de mettre des bâtons dans les roues des Japonais?

La décennie 1960 est considérée comme l’âge d’or de Seiko et elle pourrait faire l’objet de nombreux livres à elle seule. Cette période peut être résumée par le mot d’ordre donné par Shoji Hattori aux employés de la marque: il faut rattraper et dépasser la Suisse. Les amateurs les plus piqués du virus reconnaîtront les mots qui ont donné le titre du livre de référence de Pierre-Yves Donzé.

Je résumerais la stratégie de Seiko à cette époque en quelques mots: faire des produits de qualité et le faire savoir. Cela illustre la volonté de Seiko à la fois d’améliorer la qualité de sa production de manière dramatique, mais aussi de faire connaître la qualité de ces produits à travers différentes stratégies de communication.

On commence donc à comprendre l’importance que revêtent la participation aux événements sportifs (surtout les JO de Tokyo en 1964) ou encore aux diverses expéditions scientifiques ou d’exploration, mais également la quête de la précision absolue qui a amené Seiko façonner le paysage horloger japonais avec la norme chronomètre, à participer aux concours de chronométrie en Suisse, à faire certifier des montres par l’observatoire astronomique de Neuchâtel, et enfin évidemment à créer et commercialiser la première montre à quartz au monde. La chronométrie sportive - plus particulièrement les Jeux Olympiques de Tokyo - et la quête de la précision sont deux axes essentiels pour comprendre l’histoire de Seiko dans cette décennie fascinante.

Aujourd'hui je vous propose une série de deux articles qui tournent autour d'un seul mot: le chronomètre.

L’usage aurait voulu que je fasse un rappel ici de ce qu’est un chronomètre, mais c’est la problématique même de ce premier article. Je rappellerai donc qu’il n’est pas à confondre avec le chronographe dont le but est de mesurer des durées courtes (ce bon vieux “chrono”).

Mais pourquoi parler de chronomètre me direz-vous?

D’une part car, comme je l’ai dit, l’histoire que je vais vous présenter est un des axes centraux du développement de la marque des années 50 aux années 70. D’autre part parce que Benoît (il se reconnaitra) a eu le malheur de me demander si le Japanese Chronometer Inspection Institute ou JCII existait toujours. Il n’en fallait pas plus pour me lancer dans une longue quête de recherche et de documentation sur l’histoire des chronomètres et surtout le lien avec Seiko et l’impact sur son histoire.

J’ai décidé de séparer le dossier en deux articles, un premier qui traite de la norme chronomètre en elle-même, son évolution et son adoption par l’industrie japonaise. Puis un deuxième qui traitera de l’impact que cela a eu sur Seiko, son offre commerciale, sa participation aux concours de chronométrie et la certification de montres par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.



Je vous souhaite une bonne lecture !


Quand on lit des articles sur l’histoire de KS et GS, on lit souvent que la CICC interdit les Japonais d’utiliser le terme chronomètre. Suite à ça, les Japonais créent le JCII et Seiko se remet à produire des chronomètres KS. Mais dès qu’on fait des recherches sur la JCII et le CICC, on ne trouve…rien… Alors qu’en est-il vraiment? Quelle est l’histoire du terme chronomètre, que sont ces organismes, comment sont-ils nés, qu’ont-ils fait et que sont-ils devenus? Existe-t-il vraiment un lien avec le COSC? Est-ce que les Suisses ont vraiment essayé de mettre des bâtons dans les roues des Japonais? 

Mais avant tout, c’est quoi un chronomètre? Ce terme regroupe aujourd’hui de nombreux objets horlogers. Au XIXème siècle, il existe des chronomètres de marine avec échappement à chaîne et fusée, utilisés pour la navigation en mer et dont la précision assurait la survie des marins. Au XIXème siècle, certaines montres à échappement à ancre méritent le nom de chronomètre. Puis il est évidemment question des concours de chronométrie et des observatoires astronomiques, et enfin du COSC, très connu aujourd’hui. C’est donc un sujet très vaste et nous nous en tiendrons aujourd’hui uniquement aux montres bracelet. 

Un chronomètre de marine Seiko de 1942 avec une dérive maximale de 0,1 s/j.


Entre 1900 et 1939 la congrès international de Paris, la Société Suisse de Chronométrie, le bureau Français des normalisations de l’horlogerie et la Fédération Horlogère donnent chacun des définitions du chronomètre en fonction de sa précision et de son type d’échappement, mais rien n’est mis en place pour faire appliquer cette mesure et surtout il n’existe pas d’uniformisation entre ces différentes sociétés savantes. Le besoin d’une définition internationale du terme se fait donc ressentir.

Lors du Congrès International de Chronométrie de Genève en Août 1949, il est décidé de créer la Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques (CICTOC, qui n’est pas l’ancêtre de TikTok bien évidemment). Le but est de se mettre d’accord sur la définition du terme à l’échelle internationale, et l’unification des méthodes de mesure.

Léopold Defossez vers 1955

Lors de l’assemblée générale de la Société Suisse de Chronométrie de Juin 1950, Léopold Defossez (auteur de Théorie Générale de l’Horlogerie) rapporte que la SSC devrait se charger de reprendre le problème et de constituer une commission chargée de définir le terme chronomètre et de le protéger. Peut-être que celui-ci n’était pas au courant de la création de la CICTOC. Celle-ci s’est pourtant réunie à Neuchâtel en décembre 49, à Lyon en mai 1950, puis plus tard à Strasbourg en mai 51.

Ce n’est que lors du Congrès International de Chronométrie du 8 Juin 1952 à Spiez, cette fois-ci sur recommandation du directeur de l’observatoire de Besançon, qu’il est donné une définition du terme “chronomètre”: il s’agit d’une montre de précision réglée dans différentes positions et températures et ayant reçu un certificat. La commission internationale autorise que ces certificats soient délivrés par les Bureaux Officiels de Bienne, La Chaux de Fonds, le Locle, Saint-Imier et le Sentier. Pour les concours de chronométrie et les réglages spéciaux, les observatoires de Neuchâtel et de Genève, ainsi que Besançon et Kew pour la France et l’Angleterre, sont en mesure de proposer des épreuves encore plus strictes. Ce sont les fameux Chronomètres d’Observatoire et les tout aussi fameux Concours de Chronométrie.

Il y a eu cependant une discussion importante car les critères des BO sont bien moins stricts que ceux des Observatoires Chronométriques et la CICTOC, n’ayant aucune volonté commerciale, souhaitait que seuls les Observatoires puissent délivrer ce titre, mais finalement c’est une approche un peu plus large qui fut choisie en laissant les BO délivrer ce titre, du moment qu’ils respectent les critères de la CICTOC.

Ces critères sont nombreux mais on ne retiendra ici que la marche moyenne qui doit se situer entre -1 et +10 secondes par jour en 1952.

En 1959, soit 10 ans après sa création, la CICTOC devient la Commission Internationale des Contrôles Chronométriques ou CICC, à l’occasion du 6ème Congrès International de Chronométrie à Munich. A l’origine, elle réunit les Sociétés Suisse, Allemande et Française de Chronométrie, puis la Société Italienne de Chronométrie rejoint la Commission en mai 1962. Étant l’évolution de la CICTOC (elle-même une émanation de Congrès International de Chronométrie), la CICC autorise un certain nombre d'organismes à délivrer le terme de chronomètre. Il s’agit donc à cette époque des observatoires de Neuchâtel et de Genève, du Laboratoire Suisse de Recherche Horlogère, des Associations des Bureaux Officiels de Contrôle de la marche des montres, de la Société Suisse de Chronométrie, puis des Sociétés de Chronométrie d’Italie et de France. 

L’observatoire de Neuchâtel

Mais qu’en est-il du Japon?

Alors que l’industrie horlogère s’est bien développée avant la Seconde Guerre Mondiale, avec principalement la domination de K Hattori Co Ltd (Seiko), celle-ci est totalement chamboulée par la guerre puisqu’elle a dû se tourner vers l’armement, mais aussi évidemment à cause des bombardements, des morts etc… 

Les affaires reprennent péniblement dès 1945 mais l’horlogerie est au cœur du plan de relance économique du pays et l’exportation reprend dès 1947. En 1948, le gouvernement pousse à la création de la Japan Clock & Watch Association (JCWA) et du Japan Horological Institute. L’année suivante, c’est le Japan Industrial Standard (JIS) qui est créé par la Japanese Standards Association, l’équivalent de l’ISO mais à l’échelle du Japon. 

Les entreprises japonaises estiment alors que l’application des normes JIS suffisent à faire d’une montre un chronomètre, du moment que le Ministère de l’Industrie et du Commerce Extérieur ou MITI (pour Ministry of International Trade and Industry) estime que les manufactures concernées remplissent les conditions. Des concours de chronométrie sont d’ailleurs organisés par le Centre d’expérimentation mécanique du MITI tous les deux ans à partir de 1948 pour booster le développement de l’horlogerie après guerre, jusqu’en 1960, mais ceux-ci sont très largement dominés par Seiko. Par exemple, le concours de 1958 voit des Seiko Marvel rafler les 9 premières places. 

Le but de ces concours réservés aux entreprises japonaises est de développer leurs compétences afin de pouvoir rivaliser avec la qualité des montres suisses. Les critères sont donc calqués sur ceux des épreuves de l’Observatoire de Neuchâtel. Autre spécificité de ces concours Japonais, les montres testées sont des montres de série et non pas des montres développées spécifiquement pour les épreuves comme c’est le cas en Suisse.

Les concours cessent en 1960 lorsque le MITI considère, après avoir testé des montres suisses achetées chez des détaillants, que les montres japonaises ont la supériorité sur leurs équivalents étrangers.

Malgré des demandes à l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo, aucun organisme tiers n’accepte de tester les montres des différentes marques japonaises et le besoin de la création d’un organisme dédié commence à se faire sentir.

Alors que les concours japonais prennent fin en 1960, les équipes de Seiko sont animées par le mot d’ordre du président Shoji Hattori: il faut “rattraper et dépasser la Suisse”. Leur succès sur le marché Japonais et les comparaisons effectuées par le MITI avec leurs homologues suisses leur donne suffisamment de confiance pour aller jouer sur le terrain des Suisses. Ils participent donc au concours de chronométrie de l’observatoire de Neuchâtel en 1963 avec une horloge de table à quartz. Pour la première fois dans l’histoire du concours, une entreprise étrangère rentre dans le top 10.

Divers chronomètres à quartz ayant participé aux concours de Neuchâtel
Crédit: Anthony Kable - Plus9Time.com

A cette même période - et peut être suite à ce concours - le président de la CICC et ingénieur en chef d’Omega se retrouve avec un chronomètre Japonais entre les mains: une Grand Seiko First. Et bien que ces montres venaient avec leur certificat de marche, les Suisse n’en voient pas trop l’intérêt car les montres sont testées en interne, suite au refus de l’Institut Japonais de Métrologie et à l’Observatoire Astronomique de Tokyo. Ils ne nient pas les qualités des montres, au contraire, mais souhaitent faire appliquer le standard chronomètre tel qu’ils l’ont définit, et en particulier le fait que les montres doivent être testées par un organisme indépendant.

Après quelques difficultés diplomatiques, le Japon reçoit une invitation au Congrès International de Chronométrie via l’ambassade du Japon en Suisse, et l’Institut Japonais de Métrologie (dépendant du MITI) envoie Shozo Matsushiro, accompagné de Mr Murakami, chef du bureau de développement de machines-outils de Suwa Seikosha, au 7ème Congrès International de Chronométrie se tenant au Palais Beaulieu de Lausanne à l’occasion de l’Exposition Nationale Suisse de 1964, rassemblant 800 spécialistes d’une vingtaine de pays. L’évènement fête également le 40 anniversaire de la Société Suisse de Chronométrie.

Exposition Nationale Suisse de 1964

La veille, Shozo-san mange avec le président du CICC Mr Henri Gerber, directeur technique d’Omega, ainsi que Mr Harri également de chez Omega, avec sa délégation Japonaise composée entre autres de deux ingénieurs de Suwa Seikosha, H. Yasukawa, ingénieur-chef et Nariaki Murakami évoqué plus tôt. Avant ce dîner, les Japonais n’avaient aucune idée de ce qu’était le CICC !

Lors du congrès, des ingénieurs Japonais du l’Institute of Technology et de Suwa Seikosha donnent même des conférences sur le quartz.

Ce voyage permet à Shozo Matsushiro de prendre pleinement connaissance du fonctionnement de la CICC et des normes chronométriques internationales qu’elle défend. Son rôle est de ramener ces informations au Japon et d’en faire part aux manufactures en tant que membre d’une agence d'État. Suite à ce voyage en Suisse, il est encore plus déterminé à créer un organisme indépendant à même de certifier les montres japonaises afin de rejoindre la CICC.

Crédit: Special Dial www.specialdial.com

Son intention va totalement dans le sens des recommandations de la CICC. Celles-ci sont claires: ils ont prit connaissance du fait que les Japonais (Seiko et Citizen) produisent des chronomètres qui répondent aux exigences nécessaires, si ce n’est que ces montres sont testées en interne. La CICC leur communique alors tous les détails sur les fonctionnements des BO (Bureaux Officiels) et “recommande que soit créé au Japon un organe officiel indépendant des fabricants dont la tâche serait de contrôler les chronomètres au cours d’épreuves, telles qu’elles existent en Suisse, en France, en Allemagne et en Italie, afin que seules les montres ayant subi avec succès cet examen puissent porter le nom de chronomètre.”

Shozo-san ne semble d’ailleurs pas particulièrement impressionné par ce qu’il apprend des BO. Lui qui s’imaginait trouver des bâtiments impressionnants, il semble déçu que les BO ne soient en fait que quelques pièces dans des écoles d’horlogerie. En 1963, 200 000 chronomètres ont été testés en Suisse, dont 120 000 par le BO de Bienne (le plus important). Le rythme de 10 000 mouvements testés chaque mois lui semble énorme et nécessite une automatisation pour les 16 employés chargés de cette tâche. Il fait d’ailleurs mention de l’utilisation d’un ordinateur IBM.

Le Technicum de Bienne qui hébergeait l’école d’horlogerie et le BO de Bienne

L’ingénieur relève deux autres points intéressants: le but de ces certifications lui semble être simplement l’augmentation du prix des montres (contrairement aux chronomètres de marine qui assuraient la survie en mer des marins), et il critique que les mouvements soient testés avant emboîtage, sujet qui continuera à faire débat longtemps après, nous y reviendrons.

Suite à ce voyage, il devient clair que les diverses organisations et manufactures japonaises doivent s’entendre pour créer la structure nécessaire pour rejoindre la CICC.

Malheureusement le MITI refuse, d'une part car ses juristes estiment que le mot chronomètre fait partie du langage usuel, d’autre part en raison du coût élevé de l’opération.

En attendant, Seiko arrête d’utiliser le terme Chronometer pour ses montres à partir de 1966.

Crédit: The Tokei Club www.thetokeiclub.jp

Suite à l’arrêt temporaire de l’utilisation du terme chronomètre et à l’inaction du MITI, Seiko décide de mettre en place le standard Grand Seiko, supérieur aux normes en vigueur dans les Bureaux Officiels Suisses. Cette démarche s’inscrit dans une dynamique de performance chronométrique lancée dès les années 50 avec les concours de chronométrie japonais organisés par le MITI, puis avec les concours de chronométrie suisses. L’accumulation du savoir-faire industriel et technique permet à Grand Seiko de jouer le même jeu que Rolex et son Superlative Chronometer ou que le poinçon de Genève (pour sa partie chronométrie en tous cas) en créant un standard chronométrique plus stricte que celui de la CICC. Le but est clair: faire mieux que mieux !

En décembre 1968 et sous l’impulsion de Seiko, le Japanese Chronometer Inspection Institute (ou JCII) voit enfin le jour et sous-traite les épreuves de test à la Japan Clock & Watch Association (JCWA) dès 1969. En Septembre la JCII est présentée lors du Congrès International de Chronométrie de Paris et l’intégration du JCII au CICC est validée sous réserve d’une visite des installations du JCII à Tokyo et Suwa. 

Claude Attinger, physicien au Laboratoire Suisse de recherches horlogères, et André Donat, directeur du Cétéhor, le centre technique de l'industrie horlogère de Besançon, font le voyage au Japon en Avril 1970. A cette occasion, de nombreuses discussions ont lieu, dans le même esprit que celles des Congrès Internationaux de Chronométrie, pour comprendre comment les tests sont effectués, selon quelles modalités et avec quelles machines, toujours dans le but d’uniformiser les pratiques à l’échelle internationale. 

Pour la petite histoire, une des questions qui revient beaucoup est la température des tests. Pour faire simple, les montres sont testées dans le froid, à température ambiante, puis dans le chaud. Seulement le Japon teste ses montres l’été par 24°C, qui est considéré comme la température ambiante, alors qu’en Europe elles sont testées par 22°C. Si on regarde la norme ISO 3159 maintenant, les montres sont testées à 23°C avec une tolérance de +/- 1°C. Il s’agit sûrement d’un accord entre les Japonais et leurs homologues européens datant de cette période..

Entre le 1er avril 69 et le 31 mars 71, soit lors de ses deux premières années d’activité, le JCII teste plus de 225 000 montres. Entre le 1er avril et le 31 juin 1971, 40 000 montres sont testées avec une estimation de 120 000 montres pour cette année (pour les écoles et les entreprises japonaises, l’année commence le 1er avril et finit le 31 mars). Le taux de réussite pour l’année 69 est de 92% et passe même à 93% pour l’année 1970.

A titre de comparaison, selon l’Association des Bureaux Officiels, la Suisse un peu plus de 493 000 chronomètres pour l’année 1969 avec un taux de réussite de 91,5% (dont la moitié est testée à Bienne avec 92,3% de réussite).

Crédit: www.moonphase.fr

La majorité des chronomètres testés en Suisse à cette époque dans les BO étaient des Omega et des Rolex (en 1970 Rolex et Omega représentent  plus de 83% des chronomètres testés dans l’ensemble des BO), ce qui explique d’ailleurs pourquoi le bureau de Bienne était le plus actif. Cela tendrait à placer King Seiko en face de ceux deux marques légendaires, du moins pour ce qui concerne les qualités chronométriques, avec la précision de Rolex testait ensuite à nouveau ses montres en interne pour le “Superlative Chronometer”.


Il est intéressant de noter que tout le travail d’intégration des Japonais au CICC se fait dans un esprit de collaboration, le CICC n’ayant pas de but commercial et souhaitant juste faire respecter le terme de chronomètre à l’international, uniformiser les démarches et faire progresser la chronométrie dans son ensemble. Une démarche purement scientifique et aucunement commerciale. L’anglais est adopté comme troisième langue officielle avec le français et l’allemand, afin d’aider à l’intégration des Japonais et de leurs interprètes. Sans grandes surprises, les Japonais commencent tout de suite à demander à ce que les normes soient rendues plus strictes, en particulier pour tester des montres terminées et pas seulement des mouvements, et inclure la résistance au magnétisme, aux chocs et l’étanchéité aux critères testés pour la normes chronomètre, proposition appuyée par les Allemands mais rejetée par les Suisses et les Français.

Dès 1972, le président de la JCII commence à expliquer à la CICC l’importance de créer une catégorie à part pour les montres à quartz ainsi que d’augmenter les exigences de la norme Chronomètre. Malheureusement le comité refuse dans un premier temps de donner le nom de Chronomètre aux montres à quartz.

“Une précision de 0,0666 secondes par jour. Seiko Quartz a changé le sens du mot précision”

En 1974, le président de la JCII explique encore à la CICC que le Japon produit davantage de montres aux standards chronométriques supérieurs à la norme chronomètre (probablement majoritairement des Grand Seiko, possiblement des Citizen) et qu’entre le succès des montres mécaniques haut de gamme et de l’arrivée du quartz, le terme chronomètre perd de son attrait et il devient urgent de créer une norme supérieure (de type “Super Chronomètre”) ainsi qu’une norme propre aux montres à quartz. Il propose donc d’adopter la classification d’usage au Japon avec la classe AAAA pour les montres plus précises et A pour les moins précises, et propose qu’un chronomètre soit au moins AAA, mais le nom de chronomètre reste spécifique aux montres mécaniques.

Dès 1976, Seiko ne produit plus de chronomètres (King Seiko) et c’est cette année qui sonne la fin de la certification des montres mécaniques par le JCII. Mais le JCII continue de certifier des montres à quartz, avec d’importants soutiens de Suwa et Daini Seikosha, jusqu’en 1979, où le JCII cesse également de certifier les montres à quartz.

De 1974 à août 1979, le JCII certifie plus de 1 442 000 montres pour hommes de Seiko, Citizen et Ricoh, dont 29 000 de classe AAAA et 194 000 de classe AAA. Pour ces deux classes, les montres sont testées individuellement. Pour la classe AA, la certification est obtenue par échantillonnage. Cela représente 1 200 000 montres sur la période.

Catalogue Seiko de 1977 avec cette Seiko Quartz Superior. Le texte en haut précise que la montre est de classe AAAA.

En 1979, la responsabilité de la norme chronomètre est transférée à l’ISO, qui travaille de près avec le CICC et le JCII depuis 15 ans. En effet, l’ISO a fondé en 1964 un comité technique appelé ISO/TC114 horlogerie. Le cahier des charges est adopté en 1974 et la norme ISO 3159 voit le jour en 1976 et ne sera mise à jour qu’en 2009, bien que la définition de chronomètre donnée par Léopold Defossez en 1952 soit toujours utilisée par le COSC.

A la fin des années 70 et au début des années 80, alors que l’ISO a repris à sa charge la norme chronométrique, les travaux du CICC tournent principalement autour du quartz. En octobre 80 et 82, le CICC se réunit d’ailleurs par deux fois à Tokyo. En Octobre 83 les discussions commencent à tourner autour de l’avenir du CICC et le JCII annonce au CICC sa dissolution en décembre 1983. Il est tout de même demandé que toute communication future de la part du CICC soit faite à l’attention de la Japan Watch & Clock Association (qui sous-traitait les tests de la JCII).

Et le COSC dans tout ça?

Malgré la présence de la CICC, il existe une forte concurrence entre les BO, il est donc décidé au début des années 70 d’unifier le fonctionnement et le coût des BO, ce qui amène à la naissance du COSC en 1973. Comme l’explique très bien Pierre-Yves Donzé, “le COSC n’a pas la propriété des BO, mais est contractuellement lié à ces derniers: il leur confie le contrôle et l’authentification des chronomètres.” Aujourd’hui encore, le COSC certifie les chronomètres par l’intermédiaire de trois BO: ceux de Bienne, Le Locle et Saint-Imier.

Il n'est donc pas juste de considérer que la CICC soit devenue le COSC. La CICC a été créée par le Congrès International de Chronométrie pour définir et faire appliquer la norme chronomètre à l’international, en donnant des directives à ses membres que sont les différentes sociétés de chronométrie. Ça n'a jamais été le travail de la CICC de tester les montres, elle a par contre autorisé différents organismes à donner le nom de chronomètre aux montres qui respectent les critères qu’elle a édicté.

A l’inverse, le COSC est un organisme qui réunit à la fois des représentants des différents cantons horlogers et des représentants de l’industrie suisse. Comme l’explique Pierre-Yves Donzé, “Le COSC apparaît d’emblée comme une organisation mise sur pied afin de rassembler les principaux acteurs de l’industrie horlogère suisse autour d’une idée simple: gérer de manière commune le système d'authentification des chronomètres. [...] L’équilibre entre les collectivités publiques et les entreprises permet aux BO de poursuivre un service qui s'adresse à l’ensemble de l’industrie.” 

L’idée est d’unifier les différents BO qui souffraient de divers problèmes, dont une certaine concurrence inutile, des variations de prix dans la certification des montres selon les bureaux etc. De la même manière que la CICC s’assure du respect de la norme chronomètre à l’international, le COSC s’assure de l’unité dans le fonctionnement des Bureaux Officiels suisses. “La certification chronométrique de montres-bracelets à balancier spiral repose sur 7 critères imposés par la norme ISO 3159” comme le précise le COSC sur son site. Autrement dit, le COSC s’assure que les chronomètres respectent la norme ISO développée en partenariat avec la CICC dans les années 70.

Conclusion

La quête de la précision était un axe de développement majeur de beaucoup de marques horlogères après la guerre et malgré un démarrage un peu en retard des Japonais, Seiko a su revenir sur le devant de la scène dans les années 60. On présente souvent l’interdiction à Seiko d’utiliser le terme chronomètre comme une tentative de leur mettre des bâtons dans les roues, comme si les Suisses avaient eu peur des progrès de Seiko et essayaient de les combattre dès que possible.

Mais comme nous l’avons vu, cela n’a clairement pas été le cas. Au contraire, le but de la CICC était de faire progresser la chronométrie et l’horlogerie de manière générale, et l’arrivée des Japonais grâce à Seiko et la création du JCII a été très bien vue et facilitée par la CICC. 

Bien que cela n’ait pas aidé Seiko a développer son savoir-faire, cela ayant déjà été fait dans les années 50 et 60, l’intérêt a été principalement de faire savoir qu’ils pouvaient concurrencer et battre les Suisses. D’ailleurs il est intéressant de noter qu’initialement, Seiko avait souhaité faire certifier ses chronomètres en vue des JO de 1964, mais que les refus des autorités japonaises et les difficultés à mettre en place un organisme idoine prit plusieurs années, ce qui ne permit à Seiko de proposer des chronomètres officiellement certifiés qu’à partir de 1970. 


Mais entre-temps, Seiko n’a pas attendu les bras croisés. Comme nous allons le voir dans le prochain article, ils ont mis en place le standard Grand Seiko, plus strict que le standard chronomètre, ils ont participé aux concours de chronométrie suisses au point de causer leur fin à cause de leur supériorité, ils ont même fait certifier des montres par le prestigieux Observatoire Astronomique de Neuchâtel.

Cette quête de la précision a été couronnée de succès, que ce soit du point de vue technique ou du point de vue de la communication.

Mais revenir sur ces différents points permet également de comprendre à quel point Seiko dans son âge d’or produisait en grande quantité et à des prix plus abordables des montres de qualité équivalente aux suisses. Et c’est bien ça, et non pas le quartz, qui fut la cause de la crise horlogère qu’à traversé le Suisse dans les années 70 !

Dans le prochain article, nous verrons plus en détail comment le standard chronomètre a impacté la production et l’offre commerciale de Seiko, avec King Seiko, Grand Seiko, les concours de chronométrie et les montres certifiées par l’Observatoire Astronomique de Neuchâtel.

Récapitulatif

C’est quoi le CIC, la CICTOC et la CICC?

CIC = Congrès International de Chronométrie

CICTOC = Commission Internationale de Coordination des Travaux des Observatoires Chronométriques, c’est une commission créée lors du CIC de 1949

CICC = Commission Internationale des Contrôles Chronométriques, c’est l’évolution de la CICTOC créée en 1959 pour unifier les contrôles chronométriques à l’échelle internationale

C’est quoi le JCII?

Japanese Chronometer Inspection Institute, créé en décembre 1968 sous l’impulsion de Seiko, c’est un organisme indépendant, membre de la CICC, qui permet aux entreprises japonaises de certifier leurs chronomètres. Elle a certifié des montres mécaniques jusqu’en 1976 et des quartz jusqu’en 1979. Il est dissous en décembre 1983, après seulement 15 ans d’existence et 7 ans de certification de montres mécaniques.

C’est quoi la JCWA?

La Japan Clock & Watch Association, créée en Avril 1948. Elle est chargée du développement de l’horlogerie japonaise sur le marché local et à l’international. C’est elle qui teste les montres pour le JCII de 1969 à 1976. L’association existe toujours.

https://www.jcwa.or.jp/en/index.html

C’est quoi l’Horological Institute of Japan?

Également fondé en 1948, l’Horological Institute of Japan est une société savante composée de chercheurs et de scientifiques issus du milieu universitaire et de l’industrie horlogère. Actuellement, deux des trois directeurs exécutifs font partie de Seiko
https://hij-n.com/english/

C’est quoi le COSC?

Le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres a été créé en 1973 et s’assure de la certification chronomètre au sein des Bureaux Officiels Suisses. C’est une association à but non lucratif qui regroupe des représentants des cantons horlogers (Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne et Soleur) et des représentants de l’industrie. Elle fait appliquer la norme ISO 3159.

D'autres organismes dans d’autres pays sont en mesure de délivrer ces certificats: l’observatoire de Besançon, le METAS de Berne, la fondation TIMELAB à Genève, la fondation Qualité Fleurier et l'observatoire Wempe à Glashütte.

C’est quoi ISO 3159?

C’est la norme internationale qui définit ce qu’est un chronomètre. Le site de l’ISO dit “L'ISO 3159:2009 établit la définition du terme «chronomètre» en décrivant les catégories, le programme des essais et les exigences minimales admises pour les chronomètres-bracelet.”

Cette norme a été mise au point dans les années 70 avec la collaboration de la CICC et du JCII, puis c’est finalement l’ISO qui a repris le rôle de la CICC en 1979. Sa commission technique dédiée à la chronométrie a été fondée dès 1964, il s’agit de la ISO/TC114.

Sources:

https://www.jcwa.or.jp/en/etc/history02.html

https://isozakitokeiblog.mods.jp/blog/2007/01/post_254.html

https://ja.wikipedia.org/wiki/%E3%82%AF%E3%83%AD%E3%83%8E%E3%83%A1%E3%83%BC%E3%82%BF%E3%83%BC

https://www.letempsarchives.ch/page/JDG_1964_06_05/2/article/7637967/%22congr%C3%A8s%20international%20de%20chronom%C3%A9trie%22

https://www.letempsarchives.ch/page/GDL_1964_06_09/3/article/2871508/%22congr%C3%A8s%20international%20de%20chronom%C3%A9trie%22

https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1950AFChr..20..439./0000441.000.html

https://articles.adsabs.harvard.edu//full/1953PGenA..45..203T/0000004.000.html

Archives du Journal of the Horological Institute of Japan: https://www.jstage.jst.go.jp/browse/tokeieafj/-char/en 

Pierre-Yves Donzé: “Histoire sociale et économique de la chronométrie”

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Arnaud.A Arnaud.A

Les architectes de Grand Seiko: Shinichiro Kubo

J’inaugure aujourd’hui une nouvelle série d’articles que j’ai nommée “Les architectes de GS”. Dans ces articles, je souhaite mettre en lumière les noms plus ou moins connus qui ont participé ou qui participent à créer ces montres qui nous sont si chères.

Une belle montre étant le mariage d’un beau design et d’un beau mouvement, comprendre les personnes qui créent ces designs et ces mouvements permet de mieux comprendre les montres en elles-même. Voilà pourquoi ces articles traiteront des designers et horlogers à qui l’on doit nos Grand Seiko.

J’ai souhaité commencer avec un des designers les plus influents de l’ère moderne de Grand Seiko, il est le père de nombreux classiques et designer pour GS depuis plus de 20 ans, il a même été le directeur du Design Center de Seiko Watch Corporation, j’ai nommé Shinichiro Kubo.

J’inaugure aujourd’hui une nouvelle série d’articles que j’ai nommée “Les architectes de GS”. Dans ces articles, je souhaite mettre en lumière les noms plus ou moins connus qui ont participé ou qui participent à créer ces montres qui nous sont si chères.

Une belle montre étant le mariage d’un beau design et d’un beau mouvement, comprendre les personnes qui créent ces designs et ces mouvements permet de mieux comprendre les montres en elles-même. Voilà pourquoi ces articles traiteront des designers et horlogers à qui l’on doit nos Grand Seiko.

J’ai souhaité commencer avec un des designers les plus influents de l’ère moderne de Grand Seiko, il est le père de nombreux classiques et designer pour GS depuis plus de 20 ans, il a même été le directeur du Design Center de Seiko Watch Corporation, j’ai nommé Shinichiro Kubo.

Alors, qui est ce charmant monsieur? Et surtout comment a-t-il fait pour avoir 20 ans d’expérience en tant que designer Grand Seiko tout en ayant l’air de ne pas avoir 30 ans ?!

Alors évidemment, Mr Kubo n’étale pas si vie privée sur internet…ou presque ! En cherchant des photos de lui sur le web, on trouve celle-ci, où il explique avoir deux enfants, aimer les décors en carton et la maroquinerie (enfin, j’imagine). Mais bon, ça ne vous avancera pas à grand-chose de savoir que ses enfants s’appellent Akine et Tateki…

Shinichiro Kubo grandit dans la région Hokuriku du Japon, assez proche de la région de Shinshu, et connue pour ses grandes chutes de neige (ça a son importance) et reçoit son diplôme de design de la Tokyo University of Technology en 1999 et rejoint directement le Seiko Group en avril de la même année,  avant d’être transféré à la Seiko Watch Corporation en 2001. 

En cherchant un peu les quelques brevets internationaux à son nom, on le retrouve comme designer pour la SGE650 (et ses quelques déclinaisons) en Mars 2001, ce qui semblerait donc être un de ses premiers designs. Dans compte-rendu d’un voyage horloger au Japon en 2017, @yonsson_in_a_nutshell précise que le premier de Kubo-san étant celui d’une montre pilote.

Seiko SGE650

Il intègre le studio design de Grand Seiko en 2003 et travaille sur tous les premiers modèles Spring Drive de la gamme, à commencer par les SBGA001 et 003 en 2004. Le design du boîtier n’est pas sans rappeler celui de la SBGR001 de Nobuhiro Kosugi sorti six ans avant, mais cette fois-ci le diamètre est plus important (41mm contre 37) et surtout, la lunette épouse la carrure du boîtier de manière continue, la continuité des deux surfaces faisant écho à la fluidité du Spring Drive.

Le boîtier étant plus large que les modèles mécaniques ou quartz habituels, Kubo a décidé de donner une inclinaison de 13° au flanc de la boîte afin que celle-ci puisse se poser facilement sur n’importe quel poignet.
Notez comme la lunette épouse le chanfrein de la carrure du boitier.

L’année suivante marquera la sortie d’un des best sellers de GS, voire la montre la plus emblématique et connue de son ère moderne: la snowflake. Et oui, ce design unique est le fruit du travail de Shinichiro Kubo qui souhaitait reproduire la neige balayée par le vent qui lui rappelait son enfance dans la région neigeuse de Hokuriku au nord du Japon ! Qui faut-il croire entre le designer qui parle d’une inspiration de son enfance ou le marketing qui parle des neiges de la région de Shinshu (plus au sud que Hokuriku)?

SBGA011 aka Snowflake

2006 marquera la première évolution sportive du design de Grand Seiko avec le premier modèle de la marque équipé d’une lunette tournante. Il s’agit du modèle GMT SBGE001 et de sa fameuse lunette en saphir. Le diamètre augmente encore un peu, les flancs du boîtier s’arrondissent et surtout GS se lance sur un nouveau segment qui est celui des montres sportives, un thème récurrent dans la carrière de Kubo-san.

SBGE001 et ses cornes très reconnaissables et partagées avec les modèles précédents

2007 sera l’année du chronographe avec le lancement du premier chrono Grand Seiko, toujours équipé d’un mouvement Spring Drive. Le design est encore une déclinaison du style instauré avec la SBGA001.

La même année, Shinichiro Kubo signe le design d’un autre chrono Spring Drive moins connu du grand public mais encore plus apprécié des Seikophiles: le chrono Izul. Vous pouvez consulter la brochure d’époque sur le site de The Seiko Guy.

Que ce soit pour le chronograph GS ou la Seiko Izul, Shinichiro Kubo s’est inspiré des chronographes développé par Seiko pour les JO de 1964, mais c’est de loin l’Izul qui pousse le plus l’hommage à ces montres emblématiques de l’histoire de la marque.

En 2008 sortira la dernière déclinaison du style lancé en 2004, avec les plongeuses SBGA029 et 031. Là aussi il s’agit d’une première pour GS, la marque n’étant à l’origine pas destinée à faire des toolwatches.

Ces divers designs, que ce soit la 3 aiguilles classique, la GMT, le chrono ou la plongeuse, auront par la suite de nombreuses déclinaisons de métaux et cadrans, mais les designs de base de cette lignée mythique de Grand Seiko Spring Drive sorties dans les années 2000 reste le fruit de Shinichrio Kubo.


Dans les années qui suivent, Kubo-san se détache un peu de ces designs et commence à trouver d’avantage le style qui lui est propre. Jusqu’à présent, on sentait dans son travail l’influence de Nobuhiro Kosugi, son mentor et responsable du studio design de Grand Seiko (qui fera l’objet d’un prochain article). Comme déjà précisé plus haut, le design de la SBGA001 s’appuie quand même fortement sur celui de la SBGR001 de Kosugi.

En 2012, Shinichiro Kubo signe le design d’une nouvelle gamme de GS, les modèles que je vais surnommer “Magnetic Resistant”. On y retrouve deux modèles automatiques et deux modèles quartz. Si les modèles quartz ont eu un peu plus de succès de par leur taille moindre, il est intéressant de noter que les modèles automatiques ont une résistance de 80 000 a/m soit 1000 Gauss, alors que c’est la moitié pour les quartz. Vous vous doutez bien que ce chiffre n’a pas été choisi au hasard…

Mais ce qui est intéressant sur ces modèles, c’est qu’il s’agit selon Kubo-san de la première réinterprétation du “Seiko Style” de Taro Tanaka (que les amateurs appellent la Grammaire du design). En effet nous sommes deux ans avant la sortie des 44GS modernes et si on regarde le catalogue GS jusqu’à 2012, tous les modèles modernes présentent des boîtiers assez courbés, aux flancs parfois arrondis et aux codes qui s’éloignent de ceux de Taro Tanaka.

Mais si on regarde une SBGR077 ou une SBGX093, on retrouve bien des surfaces planes ou courbées uniquement en deux dimensions, des arêtes vives et ce côté très anguleux qu’on retrouve souvent avec le Seiko Style. Bien qu’on ne retrouve pas l’élégance typique de Tanaka, le côté sportif de Kubo est bien représenté. Cette impression se ressent particulièrement dans le choix de l’utilisation de nombreuses surfaces brossées là où Tanaka favorisait au contraire le polissage. 

Kubo-san en 2012 avec un chrono Spring Drive au poignet

Ce premier exercice de réinterprétation de la Grammaire du design par Kubo est intéressant même s’il ne s’agit que d’un début. Shinichiro Kubo explique lui-même que ce design lancé en 2012 servira de base et d’inspiration à de nombreux de ses designs dans les années à venir et son influence est encore bien présente aujourd’hui ! Mais j’y reviendrai un peu plus tard.

Je qualifierai ces modèles et ce style de “Kubo Style” pour faire écho au Seiko Style, mais réinterprété par Shinichiro.


En 2015, Shinichiro Kubo prend la place de son mentor Nobuhiro Kosugi à la tête du Design Center de Grand Seiko.

Cette année sort la deuxième plongeuse de l’histoire de Grand Seiko, toujours en provenance de Shiojiri (Seiko Epson/Suwa Seikosha) ce qui fait sens avec l’histoire des plongeuses nées là-bas (de la 62MAS à la Turtle en passant par les Tuna). Il s’agit des SBGX115 et 117. Elles sont basées sur le design Active Line de Junichi Kamata (qui aura bientôt aussi son article dédié) qui avait été inauguré en 2011 avec la SBGX085 et ses déclinaisons (et qu’on retrouve sur les quartz GMT SBGN001/003/005). Assez peu connues des amateurs de la marque, ces deux plongeuses n’ont pas marqué les esprits et n’auront pas eu d’autres déclinaisons.

Mais en 2015, Kubo-san signe un autre design rentré au panthéon de la marque: les réinterprétation de la 62GS avec les SBGH037/039 et les SBGA125/127.
Les 62GS modernes ont rencontré un franc succès, mais encore plus depuis le lancement de la collection des quatre saisons.

Je trouve d’ailleurs que sa réinterprétation de la 62GS a infusé ensuite le style de Shinichiro Kubo, et on peut retrouver certaines traces dans certains de ses designs dans les années suivantes.

Après avoir créé les premières GS sportives, les premières plongeuses Grand Seiko puis les premiers chronographes, Shinichiro Kubo propose une nouvelle première en 2016 avec les premières Grand Seiko en céramique. Mais attention, la durabilité étant au cœur des valeurs de la marque, il s’agit d’un boîtier en titane pour le mouvement, encastré dans un boîtier en céramique. Ainsi même en cas de choc ou de casse, le mouvement reste protégé et la partie en céramique peut être changée. Je ne rentrerai pas dans les détails captivant de la construction et le design de ces modèles, mais j’en parlerai sûrement un jour dans un article dédié.

Toujours équipés de Spring Drive, ces nouveaux modèles sont proposés avec le mouvement GMT pour les SBGE037 et 039 ou le mouvement chronographe pour les SBGC015 et 017 (la fameuse Onbashira Matsuri qui tient une place toute particulière dans mon cœur). Dans les petits secrets de ce design, le cuir étant particulièrement épais pour aller avec la boite, il a été cousu à la main en mettant plus de tension à l’intérieur du bracelet qu’à l’extérieur, afin d’aider à ce que celui-ci se courbe de manière plus naturelle.

Ce sera d’ailleurs l’occasion pour GS de créer une exposition artistique appelée “Avant Garde” avec deux grands photographes Japonais, Daido Moriyama et Nobuyoshi Araki.

En 2017, à l’occasion du nouveau branding de GS avec la disparition du logo Seiko, Kubo-san propose une évolution de son chrono céramique avec les SBGC219, 221 et 223 (vue récemment au poignet de Jérôme Le Banner).

La même année sortira une montre très intéressante pour Kubo-san, et encore une première pour GS, puisqu’il s’agit de la première plongeuse mécanique de GS et la première plongeuse professionnelle, adaptée à la plongée en saturation (et sans valve à hélium, tradition Seiko oblige) et étanche jusqu’à 600m.

D’après Shinichiro Kubo lui-même, les modèles Magnetic Reistant de 2012 lui ont servi de base pour designer la plongeuse. En effet on retrouve une évolution du style inaugural de Kubo de 2012, mais également le côté Magnetic Resistant puisque le cadran est fait en fer doux pour jouer le rôle de protection magnétique, à l’image des modèles de 2012 (bien qu’ici la résistance soit moindre).

Puis en 2018, GS sort de la céramique bleue pour les 20 ans du calibre 9S avec les SBGJ229/233, et l’année suivante l’édition limitée en hommage à la Nissan GT-R avec la SBGC229. Un défi qui a amusé Kubo-san, lui-même amateur d’automobiles !

Shinichiro Kubo propose aussi en 2018 une évolution des quartz Magnetic Resistant de 2012, maintenant renommée Tought Quartz avec les SBGV243/245/247. Le boitier est une forme d’évolution des quartz de 2012, ou une évolution plus plate du boitier de la plongeuse SBGH255 L’idée centrale de ce design est la finesse, permise par le 9F, et le look sportif moderne, mais la résistance magnétique n’est pas l’objectif premier comme sur celles de 2012. Là aussi un soin tout particulier est apporté aux bracelets en Cordura, puisque le bracelet de l’édition limitée SBGV247 est fait avec un fil de nylon et un tissage encore plus dense et donc encore plus résistant que les modèles normaux.

En 2019 Shinichiro Kubo propose une nouvelle plongeuse quartz, cette fois-ci basée sur son “Kubo Style” de 2012, une sorte de chaînon manquant entre les Tough Quartz de 2018 et les plongeuses Hi Beat de 2017. Il s’agit des SBGX335/337/339.

2019 est une année chargée en sorties signées par Kubo-san puisqu’en plus du chrono GT-R, des plongeuses 9F, il s’agit également de l’année de sortie des premières Tokyo Lion avec les Lion Mane SBGA403 et SBGC231, puis un peu plus tard la Godzilla SBGA405 (et quelques autres déclinaisons). Le design Tokyo Lion a depuis connu plusieurs variations, y compris cette année avec les SBGC275 qui inaugurent un nouveau procédé très intéressant pour la fabrication des cadrans, ce qui montre la popularité de ce design et l’influence, s’il fallait le prouver, de Shinichiro Kubo encore aujourd’hui

Le “Kubo Style” et la filiation avec les Tough Quartz et les plongeuses de 2017 et 2019 sont évidents.

Et enfin 2020 est aussi une année très remplie en sorties signées par Shinichiro Kubo.

On retrouve tout d’abord la SBGP015 pour les 60 ans de GS, qui allie le look des Tough Quartz de 2018 et la céramique bleue de la même année, cumulant deux signatures de Shinichiro Kubo.

On retrouve également une dernière série de Tough Quartz avec cette fois-ci des modèles Magnetic Resistant SBGX341/343, l’ultime évolution en quelques sortes.

La comparaison et l’évolution du style entre 2012 et 2020 est très intéressante. J’y reviendrai un peu plus tard.

On retrouve également la dernière évolution de sa GMT de 2006 avec des modèles plus petits équipés d’une lunette fixe en céramique avec les SBGE253/255/257.

Et enfin, dernière nouveauté et pas des moindres, j’ai nommé… Evolution 9 ! Et oui, Shinichiro Kubo fait partie des designers ayant œuvré au “nouveau visage de GS pour les 60 prochaines années”, lui qui avait déjà été derrière la majorité des designs marquant de Grand Seiko dans les années 2000 et 2010. Lui qui fut sans aucune doute le designer le plus influent de l’ère moderne avec Nobuhiro Kosugi, il a travaillé avec un jeune designer prometteur, Kiyotaka Sakai, pour passer le flambeau du langage visuel de Grand Seiko pour les prochaines décennies.

Une photo intéressante de Kubo-san en 2019 avec une Evolution 9 au poignet, l’année avant son lancement.

Entre 2020 et 2022, Shinichiro Kubo laissera sa place à un collègue de longue date, Junichi Kamata, qui fera également l’objet d’un prochain article.

Junichi Kamata

Je vous ai présenté en détail les modèles pour lesquels je suis sûr que Shinichiro Kubo ait été le designer, mais il existe d’autres modèles pour lesquels je ne peux m’empêcher de penser qu’il y ait travaillé, sans avoir trouvé pour autant de sources à ce sujet.

Je pourrais citer les Tough Quartz GMT de 2021 SBGN019/021/023. Qu’il ait travaillé lui-même dessus ou non, il s’agit d’une évolution directe de son design. Il y a aussi les plongeuses Hi Beat SBGH289/291 qui sont ni plus ni moins que la version Hi Beat de la plongeuse de 2008. Idem pour les premières GS équipées du 9RA, les SLGA001/003, qui la version Spring Drive des plongeuses de 2017 SBGH255/257. Et enfin les Evolution 9 Sport. Ayant été LE designer des Grand Seiko Sport et ayant été impliqué dans la collection E9, j’imagine que son implication a dû se faire à un moment ou un autre pour les E9 Sport. 

Mais qu’il ait directement bossé sur ces designs ou non, il ne s’agit que des évolutions de designs de base conçus pour Mr Kubo.

Je suis par ailleurs tombé sur une citation intéressante de Shinichiro Kubo qui dit "Toutes les montres sont des montres habillées pour moi". Je pense que cette citation est d’autant plus intéressante quand on regarde l'œuvre de Shinichiro Kubo dans son ensemble. Beaucoup de ses designs sont des montres sportives, plutôt épaisses, volumineuses, avec une forte présence, mais elles gardent toutes une certaine élégance, un certain raffinement malgré leurs dimensions généreuses dans la plupart des cas. On n’est donc pas dans la dimension de la pure toolwatch que pourrait avoir une Seiko professionnelle, au contraire Shinichiro Kubo arrive à ramener de l’élégance et de la complexité dans ses designs sportifs.

J’ai l’impression que cette élégance est arrivée après que Kubo-san ait travaillé sur les 62GS modernes de 2015. Avant cette date, ses designs sont beaucoup basées sur le “Best Basic” de Kosugi (soit sur l’Active Line même si ça reste anecdotique). En 2012 les modèles Magnetic Resistant montrent le début d’une recherche d’appropriation du Seiko Style, mais qui reste encore assez brut. Puis après le magnifique travail de modernisation de la 62GS, on peut remarquer que beaucoup des cornes dessinées par Shinichiro reprennent des géométries proches du 62GS, ou sans doute fortement inspirées. On peut noter le large chanfrein qui arrive de la bande de carrure et la face antérieure de la corne qui prend une forme pentagonale. Ces caractéristiques n’existaient pas dans les designs de Kubo avant 2015 et il me semble que le travail de la 62GS a eu un impact très important dans le style de Kubo.

L’avant/après me semble assez frappant.

Finalement, comment peut on qualifier le “Kubo Style”? Mis à part ses travaux de jeune designer sous les ordres de Nobuhiro Kosugi, on voit qu’à partir de 2012 il prend son envole et établi son propre style qui se veut très sportif et anguleux pour le résumer en deux mots. Contrairement au autres designers de la marque, il a été le premier à oser réinterpréter le “Seiko Style” de Tanaka à sa sauce, en proposant une certaine évolution du design à sa manière, et dans une dimensions plus sportive tout en restant élégante. Il a réussi à s’approprier la plus pure tradition du design de Grand Seiko, en particulier avec sa relecture de la 62GS, tout en étant en rupture avec elle pour amener la marque vers quelque chose de beaucoup plus moderne et actuel. Et ce qui me semble tout aussi intéressant, c’est qu’il ait réussi à garder cette signature de Seiko et Grand Seiko en étant capable de faire des montres originales, avec une forte identité Nippone. Le fameux cliché du mélange de tradition et de modernité, avec une touche d’originalité, qui font la force de beaucoup de designs de la marque. 


Conclusion


Si on regarde les montres proposées sur le site global de Grand Seiko, sur les 139 montres listées, 43 sont ses propres designs. Si on élargit aux hypothèses mentionnées et aux déclinaisons de ses propres designs, on se retrouve plus à 58 modèles, soit entre 31 et 42% des modèles du catalogue !

Bien qu’il soit évident qu’il n’ait pas travaillé seul sur ces montres et leurs déclinaisons, il reste le designer à l’origine de nombreux designs emblématiques de la marque et il a laissé à tout jamais sa marque dans le langage visuel de Grand Seiko. Il a été un pionnier à bien des égards et je suis fier de pouvoir mettre son travail en lumière une partie de son travail aujourd’hui.

Aujourd’hui Shinichiro Kubo est manager du département de design de Seiko. Le voici en photo début 2024 lors de l’exposition “Power design project” à Tokyo, avec sa supérieure Kiyomi Tanemura, directrice générale du département de design de Seiko.

Dans le prochain article de cette série, je vous parlerai du mentor de Shinichiro Kubo, connu pour avoir été le designer des premières Grand Seiko mécaniques et le designer emblématique de l’ère moderne de la marque: Nobuhiro Kosugi.

 

En bonus, je vous propose un petit récapitulatif des différentes lignées issues du travail de Shinichiro.

La lignée des quartz sportifs ou Tough Quartz

La lignée des plongeuses

La lignée des chronographes (j’ai omis volontairement les SBGB001/003)

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